Le jour se lève sur Paris et l’écran de télévision du cinquième étage de l’appartement du 14e arrondissement s’allume.
Une disparition de plus, mais pas n’importe laquelle ! Dacca, capitale du Bangladesh vient d’être à moitié détruite et ensevelie par la montée des eaux. Tout le monde s’y attendait, depuis quelques jours maintenant car d’importantes inondations avaient eu lieu. Pourtant dans les rues ce matin, on ne parlait que de cela. De toute façon, de quoi aurait-on pu parler d’autre ?
Je m’appelle Eduard West, j’ai vingt-sept ans et je suis un survivant. Ce n’est pas seulement physiquement que j’ai survécu mais aussi spirituellement. Ici cela est quelque chose de rare, de quelque chose d’oublié pour certains, abandonné pour d’autres : le fait d’espérer, de croire en l’humanité.
Nous sommes en 2098 et le monde a bien changé. Soixante ans plus tôt, le gouvernement avait installé un protocole d’urgence. Tous les pays de l’hémisphère sud furent en quelque sorte abandonnés. Plus d’aides, ils étaient livrés à eux-mêmes. A cause de leur pauvreté, ils ne réussirent pas à se relever. De plus, le président de l’hémisphère nord leur avait saisi toutes leurs richesses matérielles : or, bronze, etc. Il les laissa sans rien, livrés à leur propre sort. 97% des habitants y étaient morts, les quelques pourcentages restant seuls dans la nature.
Malgré cette décision qui fut radicale, nous subissons encore les conséquences du réchauffement climatique : problèmes d’agricultures, grosses chaleurs, montée des eaux provoquant la perte des côtes. Par exemple, comme ce matin où l’on a perdu une partie du Bangladesh. C’est le quatrième effondrement de terres en deux ans. En tout cas au-dessus de l’Équateur car en dessous on n’a plus de nouvelles. Toutes ces catastrophes ont mis à mal le moral des gens. Nous avons tous peur que la prochaine cible soit notre pays, mais moi je continue de croire en l’avenir.
La vie à Paris est assez privilégiée. La majorité des gens ont un travail près de chez eux, les autres doivent s’y rendre à pied et marcher parfois quelques heures car tous les moyens de locomotion, voiture, bus, camion, train ont été supprimés car trop émetteurs de CO2. Tous les habitants ont une routine qu’ils suivent à la lettre. Les voyages sont interdits. De toute façon, ce serait trop compliqué. Depuis le jour du protocole d’urgence, les pays se sont mis d’accord pour élire une personne qui représenterait tout l’Hémisphère nord. Depuis huit ans, c’est Isabelle Johnons, également responsable des Etats-Unis.
Je regarde ma montre : 8h05. Je publie mon dernier article et ferme rapidement mon ordinateur. Sinon je vais arriver en retard au boulot. En réalité, personne ne peut lire ce que j’écris, excepté mes associés. J’écris pour déverser mes idées et informer les générations futures. J’ai donc créé un site clandestin ouvert uniquement aux personnes que je rencontre le samedi soir dans un ancien café.
Je prends mon manteau, caresse une dernière fois mon chien et referme la porte. Les rues sont remplies de monde à cette heure de pointe, je marche donc d’un pas rapide et me faufile à travers les gens. Dix minutes plus tard, j’arrive enfin à une des seules entreprises qui s’occupent de la communication entre les différents pays : Balyhoo corporation.
J’ai fait des études d’informatique de gestion et de mécanique dans une grande université. J’occupe une fonction de directeur informatique depuis maintenant un an et demi. Je m’occupe de diriger une équipe qui répare les ordinateurs pour une vie plus longue car on ne crée plus d’ordinateur depuis longtemps.
J’ouvre la grande porte d’entrée et me dirige vers la machine de lait végétal et de jus de pommes, produits localement évidemment. Ensuite je monte les escaliers où je croise Rebecca qui me salue et je me dirige vers mon bureau. Je traverse l’open space où mes collègues sont installés à leurs bureaux. Je leur fais un bref signe de la main et m’installe à mon poste.
Une bonne journée de travail s’achève. Je range dans l’armoire les ordinateurs qui me restent à réparer et je file déposer à l’accueil ceux qui doivent être rendus à leurs propriétaires et sur lesquels j’ai installé une puce. Cette puce s’appelle Lees. Elle sert à éteindre tout ordinateur personnel après une heure journalière d’utilisation afin de réduire la consommation d’énergie.
Je sors du grand bâtiment et rentre chez moi me préparer une salade qui pousse sur ma terrasse. Nous sommes le 24 février et les jours s’allongent petit à petit. Il est 18 heures et n’ayant accès qu’à la lumière du jour, je décide d’aller me coucher.
Je suis réveillé en sursaut par un petit bip provenant de mon ordinateur. Je m’avance et y découvre un message un peu spécial :
“Bonjour Monsieur West,
Depuis quelques semaines, je lis ce qu’il se passe et m’informe sur le monde actuel grâce à votre site. Je vous envoie ce message aujourd’hui car la situation ici n’est pas des plus favorables. Je m’appelle Belida et je fais partie des quelques survivants de l’Hémisphère Sud. Tous les pays qui étaient près de l’océan sont sous eau…”
Mon ordinateur également pucé s’éteint avant que j’aie eu le temps de lire la suite. J’allume une bougie, m’habille rapidement et me précipite à l’extérieur pour continuer à lire ce message. Le temps que j’arrive au bureau, je me demande comment Belida a réussi à accéder à mon site, qui elle est et ce qu’elle me veut.
Les rues sont désertes, seule ma bougie donne une pâle lueur aux alentours. Je regarde derrière moi pour voir si personne ne me suit. J’ouvre la porte de l’entreprise qui m’emploie, monte les escaliers quatre à quatre et me dirige vers mon bureau. J’ouvre donc l’ordinateur et reprend ma lecture :
“… et nous nous trouvons au cœur de l’Amazonie où nous habitons dans un hangar que nos ancêtres ont rénové. Je vous écris donc ce message d’urgence car les ressources alimentaires sont presque inexistantes. Il ne restera bientôt plus rien. Il est vrai qu’il y a eu ce protocole et que vous n’êtes sûrement pas autorisé à entrer en contact avec nous, mais nous avons besoin d’aide et nous savons que vous pouvez nous aider. J’ai déjà parlé à votre dirigeante, mais elle m’a ignorée. Vous êtes notre dernière chance…
Faites attention à vous. Restez sur vos gardes. Je vous recontacterai très prochainement.”
Bizarre… moi qui pensais que nous n’avions plus de contact avec l’autre côté. Je reste figé quelques instants et relis le message une deuxième fois. Je ressors complètement perturbé, le cerveau tournant à du mille à l’heure, partagé entre la peur et le nombre croissant de questions qui tourbillonnent dans ma tête. Je déambule dans les rues. On pourrait croire que je suis perdu pourtant je connais bien le chemin de ces rues. C’est juste mon esprit qui dysfonctionne dans l’obscurité de la nuit.
La cire de la bougie me brûle les doigts et me fait sortir de mes pensées. Il me reste juste quelques heures de sommeil. Il faut rentrer. J’arrive à mon appartement essayant de faire le moins de bruit possible pour ne pas réveiller les voisins. J’ouvre la porte et appelle Fozzy, mon chien. Comme il ne vient pas, je m’avance un peu plus dans la pièce. Je reste stupéfait. Mes affaires ont été saccagées et gisent dans toute la pièce.
Mon ordinateur est allumé, je me précipite et retombe sur le message de Belida. Le stress monte de plus en plus. Un bruit provenant de la cuisine me fait sursauter. J’avance pas à pas et y découvre mon adorable chien qui se jette sur moi. Un raclement de gorge et puis soudain cette voix : Ne te retourne pas ! C’est moi Belida.
Vous êtes en état d’arrestation pour divulgation d’informations. Vous pouvez garder le silence. Tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous.