Assis sur le lit blanc, deux amants discutaient tendrement. En un regard s’échangeaient entre eux des bribes de leur passé. On pouvait facilement y ressentir l’émotion de leur fiançailles, l’angoisse de leur premier baiser et les sentiments qui ne cessaient de s’intensifier depuis qu’ils s’étaient rencontrés. Leur amour, telle une collision d’astres, était beau, puissant et étincelant. Elian, qui était étendu sur le dos à présent, n’avait depuis six ans maintenant, d’yeux que pour elle. Il la trouvait si belle, drôle et intelligente. Il savait reconnaître quand elle était stressée, comme à présent et savait quoi faire pour atténuer ce sentiment. Il dessinait des mots et peignait des rêves, du bout de ses doigts pâles, sur la paume moite d’Alésia. Chaque toucher semblait être une redécouverte, une nuée de bonheur dans un ciel éteint. Elle avait les yeux clos, comme pour mémoriser cet instant sans le laisser s’échapper dans le temps. Ils étaient verts et perlés de larmes, qui, en une respiration, accompagnaient ses joues et habillaient ses lèvres. Elle était comme tiraillée entre une profonde angoisse et un bonheur intense. Était-ce égoïste de sa part de ressentir de la joie ? Après quelques hésitations, leur discussion prit fin. Ils semblaient s’être mis d’accord, sans être pour autant plus apaisés. Je remarquai, en entrant, qu’elle avait entre ses doigts fins, le collier de leur rencontre. Elle serrait la pièce qui l’ornait comme pour se protéger. Il lui avait acheté, un soir d’été, quand dans la foule d’un concert, elle avait perdu le sien. Elle se retourna lentement vers moi, dans la pièce immaculée. « Nous avons choisi docteur. Il s’appellera… » Elian l’interrompit d’un léger geste de la main. « Et si l’on attendait la fin de l’opération ? On pourrait lui dire ensemble, quand on sortira d’ici tous les trois, mon ange. » Une telle douceur émanait de sa voix. Elle fit la moue, accepta et une nouvelle perle bleue descendit sa joue. Ils se dirent des mots doux, des baisers et des au revoir, qui dans leur ton douloureux, semblaient-être des adieux. C’était la première fois qu’ils se disaient au revoir et Elian était tétanisé à l’idée de laisser seule sa bien-aimée. Leurs doigts se cherchèrent un instant, tentant en s’enlaçant, de figer le temps. Leurs mains finirent par se lâcher péniblement et je me décidai à emmener le lit. C’était le grand jour, ils allaient enfin sortir d’ici, à eux trois. Il était stressé, il allait devenir père, tout allait fonctionner, tout se devait de fonctionner. Les rires avaient cessé. Résonnait seul le bruit des roues sur le sol gelé. Des sourires brisés s’étouffaient dans des sanglots muets. Le lit passa lentement la porte du bloc opératoire et la lueur d’espoir qui résidait dans les yeux d’Elian s’éteignit. L’opération débuta et je partis rejoindre Alésia tenant son ventre arrondi, tétanisée dans la salle d’attente. Comment lui annoncer que, dans le regard de son fiancé, la possibilité de s’en tirer en vie s’était effacée ? Les heures passèrent mais pas l’angoisse. Un médecin s’approcha. Une annonce, une pluie de souffrance, une étreinte et un faible sourire devant le lit d’hôpital désormais vide. Une confidence entre deux gémissements : « Il aurait aimé qu’on l’appelle Lucas ».