Je suis dans les bouchons, Mamie me conduit à l’école car mes parents travaillent. Je vois une voiture au loin rouler très très vite droit sur nous alors, j’ai peur. J’entends « BAAAMMM »
Nous voilà trois mois plus tard, je suis dans mon lit d’hôpital avec une jambe dans le plâtre. Je me suis réveillée il y a déjà deux semaines, Papa et Maman sont bizarres, ils viennent toujours me voir, chaque jour, mais jamais en même temps.
Aujourd’hui, le psy est venu me voir pour me dire que mes parents devaient m’annoncer une nouvelle et qu’il se joindrait à nous pour que j’aille pour le mieux.
Je n’ai pas trop compris pourquoi ce Monsieur est venu me voir, je suis une grande fille, je vis avec mes parents depuis toute petite et ils m’ont toujours tout dit.
Papa et maman sont maintenant dans ma chambre avec ce Monsieur qui me regarde bizarrement, c’est le même monsieur que tout à l’heure, le monsieur où il est écrit « psychologue » sur sa blouse blanche. Papa a l’air énervé, Maman m’explique gentiment que durant ces trois mois les choses ont bien changé…
Ils me disent que ce sera différent mais qu’ils m’aimeront toujours autant, ils me disent que, dès lors, quand j’arriverai à remarcher correctement, j’aurai deux maisons, peut-être une nouvelle maman ou un nouveau papa mais qui ne les remplaceront pas eux.
Je pleure en comprenant que mes parents vont se séparer, je crie, en disant que c’est de ma faute, de la faute de mon accident, que je ne suis pas d’accord, que je ne veux pas d’une autre maman, d’une belle-mère ou d’un beau-père, que c’est injuste, alors je me lève, mais je n’arrive pas à marcher et je tombe en me cognant la tête. Avant de tomber, j’ai appelé ma Mamie, je voulais savoir ce qu’elle avait.
Aujourd’hui, j’ai appris que j’ai dormi durant trois jours suite à ma chute, je ne veux plus voir personne. Quand maman ou papa arrive, je fais semblant de dormir et ils pleurent de peur que je ne me réveille pas. Ce matin, le même monsieur est venu me voir, et m’a dit que j’étais prête à pouvoir aller remarcher dans la salle de rééducation et que une kiné m’attendra à quatorze heures. Je lui ai demandé où était ma Mamie mais ils évitent tous de me donner une réponse, lui, les médecins, mes parents.
Papa est venu me voir, m’a dit qu’il était désolé et que Maman aussi. Je suis triste parce que je me dis que par ma faute, la faute de cette voiture, ma famille s’est cassée. Je me dis que je n’aurai plus de vacances avec mes parents, partir visiter des pays, aller au restaurant, les fêtes de famille, la maison, ma chambre,…
Je vais bientôt aller à ma séance de kiné. J’ai décidé qu’après, si Papa et Maman reviennent, j’ouvrirai mes yeux et leur parlerai.
Je suis maintenant entourée de dizaines d’adolescents, enfants ou adultes qui essaient de remarcher, de faire bouger leurs bras, leur tête,…
On m’a appelé au micro, on a dit « Ealy Lavert » est appelée à l’accueil de la rééducation. Ma kiné s’appelle Olivia, mais je peux l’appeler Oli, elle m’a dit que je n’arriverai pas à pouvoir courir ou marcher tout de suite mais que ça devrait aller vite car j’ai eu de la chance.
Elle a dit de la chance! Est-ce de la chance d’avoir eu un accident, d’être à l’hôpital, d’avoir ses parents qui divorcent et aucune nouvelle de sa grand-mère ?
Non, je n’ai pas eu de chance, aucune même.
De retour dans ma chambre, je vois Eva assise sur une chaise regardant par la fenêtre. Eva est ma meilleure amie, elle a toujours été là pour moi mais, depuis mon accident, je ne lui ai pas donné de nouvelles, à aucune de mes amies d’ailleurs.
La kiné m’aide à m’asseoir sur mon lit et me laisse avec Eva. Elle m’a prise dans ses bras et elle a pleuré. Comme tout le monde, elle m’a dit « Je suis désolée pour toi, Ealy » . Elle m’a dit que, si j’avais besoin d’aide, je pouvais l’appeler ou appeler mes autres amies quand je le voulais et que, dès mon retour, on allait organiser une grosse fête pour moi. Je ne lui ai rien dit pour mes parents et je lui ai dit de rentrer chez elle et de passer le bonjour à tout le monde de ma part.
J’étais très fatiguée et je me suis endormie dans mes larmes, je n’accepte toujours pas le fait que mes parents ne soient plus ensemble.
Ce matin, j’ai demandé aux médecins d’appeler mes parents et de leur dire que je voulais savoir ce qui s’était passé, que j’avais le droit d’avoir des nouvelles de ma grand-mère, savoir où elle était et pourquoi tout le monde évitait le sujet. A dix-sept heures, mes parents sont entrés en pleurant dans ma chambre, ils m’ont dit que c’est vrai, que j’avais le droit de savoir ce qui s’était passé avec Mamie.
Monsieur le psychologue est encore venu et m’a dit que je devais venir dans son bureau après la discussion avec mes parents, j’ai juste hoché de la tête en faisant « oui ». Maman m’a alors expliqué que Mamie avait été opérée dès son arrivée à l’hôpital, qu’elle avait eu un gros choc lors de l’accident et que c’était le Dr Shepperd qui s’était occupé de son cas. Elle s’est effondrée en larmes et mon papa a continué. Il a dit qu’ils savaient tous les deux que je n’étais pas dans mes meilleurs jours et que je devais être forte, je n’ai pas compris pourquoi et j’ai demandé d’aller voir Mamie dans sa chambre d’hôpital. Papa m’a alors dit qu’elle n’avait pas de chambre d’hôpital, que Mamie s’était envolée rejoindre Papy dans les étoiles et que c’était sans doute mieux pour elle. Je me suis mise à pleurer, pleurer, je ne faisais que ça, je voulais être seule mais je devais aller voir ce foutu psy.
Maman m’a mise dans ma chaise roulante et je lui ai dit que je savais aller toute seule jusqu’au bureau du psychologue. En passant la porte, elle ma dit : « Je t’aime Ealy ». J’ai continué d’avancer et je n’ai rien dit. J’ai roulé très vite avec ma chaise roulante mais je ne suis pas allée dans son bureau. J’ai trouvé la porte de sortie et j’ai avancé le plus vite possible, j’avais mal aux bras et je criais Mamie, je la voulais auprès de moi. Je me suis arrêtée dans un abribus et j’ai sorti mon téléphone, je ne l’avais pas allumé depuis mon accident. J’ai longuement hésité puis j’ai appuyé sur le bouton à droite et j’ai vu qu’il se rallumait.
Il était encore bien chargé, il avait 79 %, j’ai entendu « bip, bip, bip, bip » à de longues reprises. J’avais quarante-trois appels en absence et plus de cent messages sur Instagram. En presque quatre mois d’absence, c’est tout à fait normal. Je n’ai pas eu le courage de tous les lire et je n’avais plus beaucoup de 4G alors j’ai regardé les horaires de bus et j’ai attendu.
Je savais que maintenant, tout le monde devait être en train de me chercher, que mes parents devaient être très inquiets, alors j’ai pris le bus jusqu’au terminus pour ne pas qu’on me retrouve et je suis arrivée dans un endroit inconnu.
Je suis restée au beau milieu d’un parc pendant de longues heures à me demander ce que je devais faire, j’ai éteint mon téléphone pour ne pas qu’on puisse me localiser. J’étais triste mais en même temps en colère contre le monde entier, je ne voulais personne auprès de moi. Je pensais à cette voiture qui nous a foncé dedans, qui a détruit tout ce que j’avais, c’est-à-dire, ma vie.
Je ne savais toujours pas marcher, alors, je suis montée à quatre pattes et en rampant en haut d’un immeuble délavé. Arrivée en haut, mon corps était très faible et je me suis mise à contempler la vue que j’avais sur la ville au loin, sur ce parc puis je me suis mise à crier. J’ai crié très fort, le plus fort possible et je me suis mise à pleurer comme je ne l’avais jamais fait.
Je ne savais pas quel serait mon futur ou même si j’en avais encore un…
Alors, j’ai continué d’avancer comme je pouvais en rampant mais bientôt il n’y avait plus de sol, j’ai donc continué mon chemin et je me suis laissé emporter vers les étoiles…