« Cher journal, je m’appelle Romane. Je n’ai pas l’habitude d’écrire ce que je ressens dans un journal intime. C’est même la première fois. Si je le fais c’est qu’actuellement j’ai besoin de me confier, de faire sortir toutes ces choses que je ressens mais dont je n’ose pas parler à ma famille car il c’est d’eux dont je vais te parler.
Tout d’abord, je vais me présenter. Comme je viens de te le dire, je m’appelle Romane et je viens de fêter mes 18 ans il y a quelques mois. J’habite dans une petite ville proche de Paris. Je suis en dernière année au Lycée Saint-Augustin et l’année prochaine je souhaiterais partir à l’armée, ce que mes parents n’approuvent pas. Je suis fille unique, pas de frère, ni de sœur donc je suis un peu la petite précieuse de la famille. Maman voudrait que je sois une grande avocate, mais passer cinq ans à l’université ce n’est pas vraiment ce dont j’avais rêvé, d’ailleurs, l’école je déteste ça : devoir rester assise toute la journée en écoutant des choses qui me semblent inutiles, ça n’a jamais vraiment été mon truc. Papa, lui, voudrait bien évidemment que je reprenne l’entreprise familiale. Il fabrique des gourdes, plutôt sympas. D’ailleurs, avec le réchauffement climatique et tout le blabla de l’écologie, l’entreprise tourne plutôt bien. Mais quand je lui ai dit que je n’en avais rien à foutre de ses gourdes, tu peux bien imaginer sa réaction…
Dans trois mois, je passe le bac et tous les soirs à table c’est le même sujet de discussion : « T’as réfléchi pour l’année prochaine ? Tu t’orientes vers quoi ? Il va falloir penser à aller t’inscrire pour l’unif… » Et moi qui voudrait seulement partir défendre mon pays mais quand je leur en parle c’est toujours pareil : « L’armée c’est pour les hommes, Romane ! C’est un métier dangereux, beaucoup trop dangereux pour une femme. Tu ne vas quand même pas risquer ta vie pour aller faire la guerre, franchement ! Une belle fille comme toi… et faire ça de ton avenir ? C’est hors de question que tu partes. ». Voilà ce qu’ils me répètent en boucle. Dans le fond, je pense qu’ils s’en foutent un peu de mon avis ou de ce que je veux vraiment faire plus tard, ils ne m’écoutent pas vraiment. D’un côté je sais que tout ce qu’ils veulent c’est mon bonheur mais je ne peux pas m’empêcher de leur en vouloir…
Nous voilà le 30 juin c’est la remise des diplômes ce soir et le moment d’aller m’inscrire pour l’année prochaine approche. Après des discussions à n’en pas finir, ma mère m’inscrit en droit. Ce n’est pas génial ça ? Moi qui adore l’école ! Je ne sais plus quoi faire. Je ne sais pas comment leur faire comprendre que je ne veux pas de leurs études ou de leur entreprise.
Cet été, je suis partie en vacances en Italie avec mes parents. Durant ces vacances, le calme et l’air frais de la Toscane m’ont permis de réfléchir de manière plus approfondie sur ce que je voulais réellement pour ma vie future. Grâce à cela, j’ai pu réaliser à quel point je désirais faire mon service militaire et que ce désir passait bien avant celui de mes parents. C’est pour cela que j’ai pris la décision de partir. Je leur ai donc laissé une lettre pour leur expliquer mon choix et à quel point cette situation me pesait. »
24 Août 2019
« Chers papa et maman,
Comme vous le savez j’ai toujours hésité sur ce que je voulais faire, mais après ces super vacances passées auprès de vous, qui m’ont permis de me ressourcer et de me concentrer sur moi-même, j’ai réalisé que mon bonheur passait avant le vôtre, même si votre avis a toujours énormément compté pour moi.
Après de longues hésitations, je décide de partir, partir faire ce que JE veux vraiment faire. Vous m’avez toujours dit que, dans la vie, pour réussir, il fallait faire de grandes études. C’est pourquoi je n’ai jamais vraiment osé développer mon envie de rentrer dans l’armée, de défendre mon pays. Vous ne m’écoutiez jamais vraiment et quoi que je dise vous aviez toujours le dernier mot mais sans jamais vraiment prendre le temps de m’écouter et de me demander ce que moi je voulais. Oui je vous avais promis de faire des grandes études et puis de reprendre l’entreprise de papa mais ce n’est pas ce que j’aime et j’espérais que vous le comprendriez. Mon but n’est absolument pas de vous rendre malheureux ou de me rebeller mais bien de vous prouver que je ne suis plus une enfant et que je peux faire mes propres choix, surtout en ce qui concerne mon avenir. J’espère que mon départ n’affectera pas notre relation, que vous resterez fiers de moi et que je serai toujours la bienvenue auprès de vous malgré le fait que je vous ai probablement déçus.
Pour finir, je voulais vous rappeler que même si nos opinions divergent, je vous aime et vous aimerai toujours. Si jamais vous voulez me répondre, voici l’adresse de mon régiment : Avenue de la bataille 45, Evreux. J’espère que vous me répondrez.
Je vous aime,
Gros bisous xxx
Romane »
Je m’appelle Jean-Baptiste, je suis journaliste depuis vingt ans et ces mots font partie de ceux qui m’ont le plus touché durant ma carrière. En tant que père, je m’identifie aux parents de cette jeune Romane, qui, comme moi, essayent de faire en sorte que leur progéniture ait un bel avenir. Heureusement, cette lettre m’a fait réaliser que ce qui me semblait être le mieux pour eux, ne l’était pas forcément pour elle car nous sommes tous différents.
Romane est malheureusement décédée avant d’arriver à destination, avant d’avoir pu envoyer la lettre à ses parents. Son car étant défaillant au niveau des freins et le conducteur ne sachant rien faire pour éviter la falaise, les vingt-huit personnes voyageant vers la caserne, sont décédées sur le coup. Les journalistes ayant été prévenus du drame, je me suis dirigé sur les lieux de l’accident et ai trouvé sur les genoux d’une magnifique jeune femme, ces lettres bouleversantes pliées dans un journal.
Bien évidemment, avant de publier ces écrits, j’ai tenu à ce que les parents de Romane les lisent et qu’ils me donnent leur permission pour les publier. Ils ont accepté que je les publie pour que d’autres parents ne fassent pas la même erreur qu’eux, car ils regrettent de ne pas avoir soutenu leur fille dans ses choix.
Et je tiens à présenter mes sincères condoléances à sa famille, ses proches et ses amis. Que ce petit ange repose en paix.
Jean-Baptiste
Article rédigé le 10/02/2020