Cher Futur,
Aujourd’hui je t’écris pour te dire que j’ai peur. Peur de quoi ? me demanderas-tu. Eh bien de toi tout simplement. De ce que tu me feras, nous feras, à tous. Tu es le plus dangereux des prédateurs. Le passé nous rattrape, le présent nous tombe dessus mais toi tu nous prends par surprise. Tu es le plus dangereux et pourtant le plus intrigant.
Il y a quelques jours, tu m’as envoyé ton amie Mort. C’est l’homme avec la grande blouse blanche qui l’a annoncé à mes parents, pas une seule fois il m’a parlé à moi, il parlait avec mes parents seulement et en utilisant des mots bien trop compliqués pour qu’on puisse comprendre. Le seul mot que j’ai compris c’était « terminal », comme à l’aéroport. Il n’était pas très gentil et paraissait fort pressé. Enfin, bref, ce sont mes parents qui m’ont dit que Futur ne voulait pas de moi mais que Mort, elle m’accueillait à bras ouverts. Elle s’incruste en moi et dans mon quotidien. Elle s’immisce partout et m’oblige même à déménager dans un grand bâtiment froid où toutes les chambres se ressemblent et où les gens qui y travaillent sont habillés en blanc tels des anges. Je deviendrai bientôt comme eux.
Tu sais, j’aurais aimé te connaitre un peu plus, avoir plus de temps pour profiter de toi. Tu en as décidé autrement, tu laisses ton amie Mort s’interposer dans notre relation pourtant si forte. Cette relation qu’on a construite au fil des années. Je l’aimais bien moi, et pourtant…
A l’hôpital, j’ai rencontré plusieurs personnes de mon âge, elles sont toutes très gentilles mais elles ne sont pas toi. Qu’est-ce que j’aurais aimé pouvoir encore jouer avec toi et non avec elles. Il y a Jean, Julie et Maud avec qui je partage ma chambre. D’ailleurs, en parlant de ça, j’ai demandé à mes parents pourquoi je devais partager ma chambre et que je n’avais pas la mienne comme à la maison, maman n’a rien dit et a tourné la tête, papa lui m’a dit que nous n’étions plus à la maison et que je devrais m’habituer. Ça ne me dérange pas trop, j’aime bien Maud, elle n’est pas très bavarde mais on joue souvent aux poupées tandis qu’avec Jean et Julie, on fait la course dans les couloirs, je perds souvent mais ce n’est pas trop grave parce qu’on s’amuse bien.
Plus tard, j’aurais voulu être médecin, comme les gens qui m’entourent ici. Maman dit que je ferai un très beau médecin, elle parle comme si j’allais le devenir un jour, elle n’arrive pas à se dire que je ne pourrai jamais devenir médecin. Je sais que bientôt je ne serai plus là mais maman ne veut pas en parler. C’est aussi principalement pourquoi je t’écris une lettre, car je n’ai plus personne à qui parler. Maman n’en parle jamais, papa lui évite le sujet pour me faire des blagues à longueur de journées et les médecins utilisent des mots trop compliqués pour moi. Je n’ai donc plus que toi à qui écrire, mais bientôt on se séparera et je serai seule.
Tous les jours, j’essaye de me rappeler un souvenir heureux, un moment que j’ai apprécié. Souvent, je demande à papa de raconter des souvenirs de quand j’étais bébé, même si moi je ne m’en rappelle pas, ça me fait toujours plaisir de les écouter. Et toujours, sans évidemment parler de ma « maladie » comme ils l’appellent, ils n’arrivent pas à dire « cancer », pourtant ce n’est pas une insulte, c’est juste une vérité et il faut l’accepter, pour ma part je l’ai fait, ça m’a pris un certain temps mais j’y suis arrivée. Je crois que cette lettre est un peu le point final de mon acceptation. J’aimerais que mes parents puissent l’accepter aussi, qu’ils n’aient plus peur de me parler ou de faire une gaffe en disant quelque chose qu’ils ne devraient pas. Je crois que ça viendra à un moment mais ce n’est pas comme si nous avions beaucoup de temps.
J’ai reçu la visite de plusieurs personnes, dont certaines que je ne connaissais pas bien ou même pas du tout. C’est dans ces moments-là que je me demande pourquoi c’est quand on va mal que les gens s’intéressent à nous, j’avais bien plus de choses à raconter avant et pourtant c’est seulement maintenant qu’ils apparaissent. Je ne suis pas en train de me plaindre mais seulement de me poser la question. Ces gens, je ne leur ai presque jamais parlé et pourtant ils viennent me rendre visite.
Sinon, demain je recevrai enfin la visite de la seule personne que j’attendais, mon meilleur ami. Il ne pouvait pas ou ne voulait pas venir avant, je ne sais pas trop, je crois surtout que lui non plus ne voulait pas me voir en tant que « personne qui a un cancer » mais moi j’aurais aimé le voir avant, mais lui aussi il lui fallait un temps d’adaptation et d’acceptation. Je ne lui en veux pas, je suis simplement heureuse qu’il vienne enfin. Il m’a dit qu’il m’apporterait de quoi m’occuper quand je m’ennuie trop, quand je suis seule la journée. L’hôpital essaye souvent d’organiser des activités pour nous, l’autre fois, il y avait des comédiens qui sont venus pour nous divertir, c’était très chouette et amusant, j’ai bien rigolé ce jour-là.
Tout ça pour dire que ma vie se termine plus tôt que prévu mais qu’elle n’a pas été gâchée par quoi que ce soit. J’ai vécu de très beaux moments, même ici, à l’hôpital. Dans l’autre monde, je ne me rappellerai que des bons moments que j’ai passés avec les gens que j’apprécie et que j’aime.
Et toi Futur, je ne t’ai pas connu longtemps mais assez pour te dire que toi aussi je t’ai aimé même si aujourd’hui tu m’as quittée. Je ne t’en veux pas, il y a bien un jour où tu dois partir, et même si ce jour est arrivé plus tôt que prévu je te pardonne. Je te pardonne car les treize années qu’on a vécues ensemble valent bien plus que ton départ prématuré. Alors non, je ne t’en veux pas, et je suis même reconnaissante car tu m’as fait vivre des choses que jamais personne d’autre que toi n’aurait pu me faire vivre. Alors je te dis merci, pour les courtes années qu’on a vécues ensemble, même si je les aurais aimées plus longues.
Je te dis Adieu aujourd’hui, ici, mais aussi et surtout, Merci.
Madeline.