J’avais raison d’être là et je le savais. Il suffisait juste que je ferme les yeux.
J’ouvre les yeux comme si je ne l’avais jamais fait auparavant. Il fait déjà clair et le soleil brûle le sable. Juste comme il faut, pas assez pour dessécher les jardins. Il fait bon. Je sens qu’il y a quelque chose de nouveau dans mon dos, mais je ne trouve pas de miroir, alors j’attrape les premiers vêtements que je trouve, fonce à l’extérieur et là… l’air, il est si bon, si pur, parfumé par les fleurs dont mes yeux se régalent. Il y a plein de couleurs vives. Et les arbres sont remplis de fruits délicieux. Ils sont des milliers et plus encore ! Je n’y crois pas. C’est merveilleux, des larmes me coulent sur les joues. J’ai l’impression que la dernière fois que j’ai respiré, l’air n’avait pas cette odeur-là. Ça fait tellement de bien que je ne réfléchis plus et plonge la tête la première dans l’océan. Je sors ma tête de l’eau, je la sens différente, elle n’a pas la même texture que d’habitude. J’arrive à ouvrir les yeux dans l’eau sans être brûlée par le sel et je ne m’en étais pas rendu compte tout de suite, mais je respire sous l’eau, comme un petit poisson. C’est incroyable. Le soleil commence tout doucement à se coucher et le ciel vire au rose-orangé. Un tableau vivant. Je me demande si cela continuera demain.
Tout d’un coup, un éclair me secoue les entrailles. Je hurle de douleur, comme si quelque chose venait de me transpercer le thorax ! Je suis prise de panique, j’ai peur, la douleur persiste, elle est violente, pourtant, je ne saigne pas. Je regarde autour de moi et aperçois un petit mammifère qui se débat. Je m’approche et découvre avec horreur qu’il est blessé à la poitrine, je lui enlève la branche qui est rentrée sous sa peau et je sens ma douleur s’atténuer laissant place à la tristesse. Une larme coule sur le visage du petit singe.
Le lendemain, c’est reparti pour une journée entière de baignade et de course contre les vagues. Mais je me sens seule. Il n’y a personne aux environs, aucun bruit d’origine humaine, pas un seul rire. Ma maison est isolée sur la plage donc cela devrait être normal, mais j’ai un doute. Pour en être sûr, je me rends au village et là, il n’y a personne, aucune trace de vie. Pas de village, plus d’humain!
Alors mon voyage pour retrouver la civilisation commence. Comment ? Grâce à mes ailes. Celles que j’avais dans le dos quand je me suis réveillée, mais que je n’ai pas pu voir avant de m’être vue dans une flaque d’eau. Je vole au-dessus des palmiers. Parfois par-dessus les nuages, ils sont si doux que ça me chatouille le visage. J’aime bien les survoler lorsque le soleil se couche, ça donne cette superbe sensation de calme, de repos mais surtout d’inaccessibilité. Les couleurs sont chaudes et pastels. Je me sens toujours très seule, j’ai dû laisser le petit singe, il ne sait pas voler, lui. Mais quand les oiseaux me rejoignent, ça me réchauffe un peu le coeur, leurs petits bruits sont les seuls que j’entends de la journée. Les petits oisillons sont si drôles, ils ne volent pas encore très bien alors ils foncent souvent sur leurs parents et ceux-ci les grondent, mais pas très fort.
Pendant que je survole de hautes montages enneigées, je sens quelque chose. Cette impression, que je n’ai pas ressentie depuis longtemps, celle de ne pas être seule. Je descends donc sur la terre ferme, je cherche, je cherche… je la sens, elle n’est plus très loin, cette vie humaine, j’y suis bientôt. Je cours à n’en plus savoir respirer. Il fait totalement noir à présent, mais je ne désespère pas. Et là… je fonce dans quelque chose ou plutôt quelqu’un. J’ai mal, très mal, à la tête et au genou. Je saigne, mais ma douleur disparait au moment où je croise son regard profond, j’ai l’impression que je vais tomber dedans et ne jamais pouvoir en ressortir. Ses yeux sont d’un vert de jade. Ses cheveux, bruns, tout ébouriffés. Il a sûrement couru lui aussi. Sa peau est moins matte que la mienne, mais elle a l’air si douce… Il m’aide à me relever, je n’arrive pas à détacher mon regard du sien. On reste comme ça au moins dix minutes. Après ça, il me parle, je n’ai pas bien compris ce qu’il a dit, je suis troublée, j’ai envie de le toucher pour m’assurer qu’il est bien réel. Il a l’air d’attendre une réponse.
Je balbutie: Pardon?!
Il me répète : Est-ce que tout va bien? Je réponds « oui » d’un petit signe de tête. Ça fait longtemps qu’il n’avait pas vu d’autre humain, il est donc un peu désorienté.
On se raconte nos histoires. Il m’emmène dans un petit chalet pour nous réchauffer. Un feu crépite dans la cheminée. Il me donne une couverture et m’invite à prendre place devant les flammes. Mon corps se réchauffe doucement. Je tourne la tête, il est en train de me regarder. Il replonge son regard dans le mien. Je me noie à nouveau, les traits de son visage sont si fins qu’on dirait un ange tout droit tombé du paradis. Il montre un petit sourire en coin, je sens mon rythme cardiaque s’accélérer et chose étrange, je ressens le sien également, c’est troublant, il n’est pourtant pas contre moi. Je sais ce qu’il ressent avec certitude, j’ai l’impression d’être dans son corps, je ne sais pas comment c’est possible…
Haa… le singe, c’était ça avec lui aussi… j’arrive à vivre physiquement et émotionnellement ce que les autres ressentent.
Je ne peux plus résister. Il se rapproche de moi, nos visages ne sont plus qu’à quelques centimètres l’un de l’autre, il me tient par les yeux. J’ai l’impression de bouillir, à moins que ce soit le feu qui ne brûle ma peau. Ses lèvres se posent délicatement sur les miennes. Mon cœur s’emballe et je sens que le sien aussi. On se détache doucement l’un de l’autre et il me murmure son nom à l’oreille. Noa.
Le lendemain, nous nous promenons dans la forêt enneigée. Mais je veux visiter toute la planète avec lui, pas qu’un petit morceau de montagne. Je lui propose donc de me tenir la main pour qu’on puisse s’envoler ensemble. Mais au moment où je veux m’élancer, rien, je n’y arrive plus. Mes ailes ont disparu. C’est lui, j’en suis sûre, il me rend vulnérable. Cela ne m’arrêtera pas, nous irons à pied.
Je l’emmène jusqu’à un endroit qui me parait familier. Nous fermons les yeux, côte à côte, main dans la main. Nous voyons tous les deux ce qu’il y avait ici avant. Les gens rient, boivent et jouent. Je les reconnaîtrais entre mille. Nous sommes à l’endroit où mes plus grands rêves sont nés. Ma passion. Je me sens si bien, d’avoir retrouvé une de mes raisons de vivre. Je pense que je n’aurais pas réussi à vivre sans elle très longtemps. L’amour pour une personne peut être très fort, mais pour une passion tout autant! Il me regarde de ses grands yeux verts. Je sens qu’il est amusé. Je sens d’ailleurs toujours sa main dans la mienne. Alors j’ouvre les yeux et me rends compte que nous y sommes, en vrai ! Les hommes, les bâtiments, ils sont revenus de mon imagination. Je suis si excitée de les revoir. Je leur présente Noa et ils l’apprécient déjà tous. J’ai réussi! J’ai réussi à lier tout ce que j’aime. Nous allons faire une grande fête et demain, Noa et moi allons continuer notre voyage pour remettre tout en ordre. Retrouver les paysages si beaux malgré le fait que l’homme s’y soit installé et bien évidement les personnes qui y vivent et qui nous sont chères!
J’ouvre les yeux et vois Noa allongé à côté de moi. Son visage est tout détendu.
Nous voici dans un nouvel endroit où, cette fois, c’est lui qui en possède les souvenirs. Nous fermons les yeux et là… c’est à couper le souffle. Des cerisiers en fleur, partout. Nous devons être au paradis, c’est impossible. Des vieux temples, des couleurs et des gens habillés avec de drôles de robes. Noa m’explique qu’il a vécu une grande partie de sa vie ici. C’est là qu’il a ses meilleurs souvenirs. L’eau des rivières est claire et de jolis poissons de différentes tailles y nagent paisiblement. Il m’explique aussi que la fleur de ces cerisiers est très spéciale. On peut l’utiliser de différentes manières, du culinaire aux produits de beauté de luxe. Il m’en offre une, elle sent si bon, fraiche et douce. Il me la glisse dans les cheveux.
Nous nous réveillons entourés des souvenirs de son imagination. Excité, il veut tout me montrer, tout me faire goûter.
Nous terminons notre fabuleux tour du monde et nos têtes sont maintenant remplies de beaux souvenirs à se remémorer au coin du feu. Tout semble revenu dans l’orde naturel des choses, mais j’ai l’impression que quelque chose manque, je veux continuer à découvrir. En tout cas, cette aventure m’aura remplie de joie, mais surtout m’aura appris une chose
Je veux pouvoir faire ce dont j’ai envie et quand je le veux ! Accompagnée d’une personne avec qui je n’ai pas besoin de parler, car nous ressentons mutuellement nos émotions. Je ne veux pas être enfermée dans une cage de règles et de sanctions. Je veux être libre.