JOUR -10

• Au fait, que veux-tu faire plus tard ?
• Plus tard ? Euh… astronome, j’ai eu ma confirmation pour mon envolée hier.

Eh oui astronome, je ne sais même pas pourquoi. C’est vrai que ça m’a toujours intéressé et j’en ai toujours su plus sur l’espace que sur ma propre planète. On m’a toujours dit que l’avenir se passait plus haut, que notre terre était finie et qu’il fallait trouver d’autres endroits à exploiter.

• C’est ce que tu as toujours voulu faire ou est-ce juste pour les autres ? Je sais qu’ils en ont besoin. Pour survivre, dit le vieux en ricanant.
• C’est ce qu’il y a de mieux pour moi, j’aurai un bon salaire, un travail à plein temps et… je survivrai, dis-je en regardant ailleurs.
• Tu en es sûr ? Mourir, il n’y a pas d’âge pour ça, tu peux vivre très longtemps en état de mort, du moins absent. J’en ai connu beaucoup, des gens morts et surtout durant le tremplin. Tout espoir avait disparu.
• On ne nous parle plus de cette époque, comme si les gens voulaient oublier…
• On ne parle plus de la terre du tout. Maintenant tout le monde pense plus grand et voit plus haut, trop haut. Ils ne veulent plus voir le problème tellement il les dépasse. Nous ici, on est oublié. Ils nous traitent d’« usés », ils pensent que l’on ne sert plus à rien. Je suis sûr que c’est ce que tu pensais avant que j’ouvre la bouche non?

Malheureusement, c’était vrai, je suis en Rétô et aujourd’hui c’est la journée jeune, une journée où l’entraide et la fraternité des jeunes sont mises à l’honneur. L’école nous a donc obligés à trouver une bonne action à faire pendant toute la journée et j’ai naturellement pensé que le home serait facile. Il est peuplé de personnes à demi mortes et avec comme principale activité…la pétanque, c’est l’idéal. Cette journée se fait toujours 10 jours avant l’Envolée. Histoire de « profiter » une dernière fois de cette planète pourrie,  avant de partir là où on nous a assignés. Je trouvais cette sortie inutile, toutes ces personnes ne servent à rien. Elles ont déjà vécu. Ce n’était pour moi qu’une perte de temps.

• Mr Barrie, vous voulez bien me parler de votre époque ? De la terre avant le tremplin.
• Tu veux vraiment entendre ça ?
• Oui, je crois.
• Bien, dit-il quasi en me coupant la parole.

Il se leva, prit une chose noire et rectangulaire, il me la tendit avec une autre chose bizarre, en forme de disque, avec écrit dessus «La terre vue du coeur» rien d’autre. Ensuite il me dit sur un ton tout d’un coup plus autoritaire de partir et de voir cela chez moi. Il avait l’air refermé, je suis donc sorti. Arrivé chez moi, je suis monté dans ma chambre pour essayer de comprendre ce casse-tête.

JOUR -7

7 jours avant mon envolée. Je dois vider ma chambre et préparer mes bagages. Je retombe sur la chose que m’avait donnée Mr Barrie, il y est inscrit « lecteur ». Je m’assois sur mon lit et me penche sur ce truc. Je finis par insérer la plate forme ronde dans le truc noir, j’appuie sur le triangle et l’écran s’allume. Je ne sais pas décrire mon sentiment lorsque j’ai vu ce que contenait cette chose ronde. J’ai vu des couleurs, de la vie et des sourires. Toute la beauté de l’Ancien Monde, mais aussi toute son inconscience. Les usines de plus en plus grosses, les dirigeants de plus en plus fous, la peur de plus en plus présente et l’espoir, qui disparaissait.

J’ai vu la décadence du monde, son passage vers le non-retour. Toutes ces images nouvelles m’ont retourné l’esprit. Je ne savais plus quoi penser.

• Qu’est ce que tu fais ? Qu’est ce que c’est que ça ? Où as-tu trouvé cette chose ? Dit mon père en entrant dans ma chambre, il avait un ton horrible, anxieux. Et je ne comprenais pas pourquoi. Aussitôt, il m’arracha le lecteur et le jeta sur le mur de ma chambre, celui-ci se brisa en deux. Je n’ai pas su dire un mot, j’étais tétanisé face à ce qui venait de se passer, c’était incompréhensible.

JOUR -6

Le lendemain je suis directement retourné chez M Barrie.

• Mr Barrie ? Bonjour. Je suis désolée pour le lecteur, mon père l’a jeté contre le mur pour je ne sais quelle raison. Et …
• Calme-toi Gamin ! Ce n’est rien. Qu’as-tu pensé de ce que tu as vu ?
• Euh…j’ai pleuré. Pas sur le moment, juste quelques minutes avant de m’endormir. J’ai pleuré de voir que tout ce que je vis actuellement, je ne le dois qu’à la bêtise humaine, à ce désir de vouloir plus grand, trop grand ! Je suis triste de voir que malgré ces événements rien n’a changé. Je vais dans 6 jours exactement m’envoler vers un enfer où ce scénario se répétera indéfiniment. Cette pensée m’effraye. J’ai pleuré, je ne connaissais pas la beauté de l’art, de la musique et tout ce qu’elle engendre. Cette sensation, ça m’a enveloppé, c’était nouveau et inconnu, c’était merveilleux. Pourquoi tout cela a disparu ? Pourquoi est-ce que quand je regarde dehors je ne vois plus que des robots suivant bien sagement leur route, perduent dans leurs idées noires, pas un seul sourire ? Et pourquoi n’avais-je rien remarqué de tout ça avant ? Ce monde est devenu un cimetière depuis que l’homme y a posé les pieds. Mr Barrie, dites-m’en plus sur la vie d’avant, sur ce bouleversement, c’est quoi la grande vague de chaud et toute cette peur, pourquoi les gens avaient si peur ? S’il vous plaît, il faut que je sache !
• Ok gamin, assis-toi parce que l’histoire est longue.

Nous avons parlé des heures comme si je parlais avec un vieil ami. Il m’a expliqué que le film avait été principalement réalisé par des scientifiques qui voulaient garder le souvenir de la terre.

Il m’a tout expliqué, du moins tout ce qu’il savait, mais au fur et à mesure que les heures passaient, je me sentais de plus en plus mal.

JOUR -3

• Mon fils va partir pour la prestigieuse université de formation des futurs ingénieurs en astronomie et en sciences. Cette université est interstellaire et c’est l’une des mieux cotées.
• Nous sommes tellement fiers de lui, dit ma mère quasi la larme à l’oeil.

Mes parents ont organisé une fête pour leur départ de ce soir vers l’exoplanète résidentielle 12-proll et pour mon départ 3 jours plus tard vers la planète UFFIAS.

• Il va révolutionner nos vies à tous, il étudiera l’univers pour trouver de plus en plus de planètes habitables et donc nous assurer un avenir paisible.

Je ne pensais plus du tout comme eux. Je me trouvais lâche de partir, de finalement tourner le dos au véritable problème, et en même temps comment résoudre un problème aussi imposant ?

• Mes chéris, il est bientôt 19h, il faut y aller, dit ma mère tout excitée.

Ils devaient se rendre au port. Quant à moi, j’allais passer ces 3 derniers jours dans un camp de regroupement pour nous préparer au voyage. C’était notre dernière soirée en famille, l’une des pires je crois. Je ne les reverrais plus, c’est l’une des lois de la société d’après tremplin celle qui dit qu’ « à 18 ans, chaque jeune est retiré de sa famille et devra après sa formation, exercer son métier pour le bien commun et pour la survie de ce qu’il reste de l’humanité. »

JOUR -1

Déjà deux jours que je suis dans ce camp, tout le monde est tellement heureux et moi je ne pense qu’à Mr Barrie. Il est 20h, tout le monde se dirige vers le dortoir. Mais je dois une dernière fois lui parler, lui dire adieu. Je sors, je saute dans le premier bus.

• Mr Barrie, vous dormez ?
• C’est toi gamin, j’espérais bien te voir une dernière fois.
• Il fallait que je vous dise adieu, c’est pour demain…
• Ah déjà.
• Je tenais à vous remercier. Vous m’avez montré ce que le monde avait de plus beau, je sais maintenant que la vie n’est pas faite que de noir et de gris, mais qu’elle est remplie d’émotion et de couleurs. Que notre rôle sur la terre, celle-ci ou une autre, est de vivre ce que l’on ressent, d’être qui on est, d’avoir nos propres valeurs et d’avancer ensemble pour créer un monde harmonieux, commun, où chacun existe, et a une carte à jouer. J’ai aussi un petit cadeau pour vous… C’est pas grand-chose.
• Moi aussi j’ai un cadeau pour toi, mais promets moi de l’ouvrir avant de t’endormir pour ton grand voyage.
• Vous allez me manquer.
• Allez gamin, un câlin ?
• Ok Mr Barrie.

JOUR J

Voilà, je suis au port, prêt à embarquer vers ma vie future. Enfin prêt ? Je n’en suis plus si sûr. Une fois dans ma couchette, j’entends le décompte (10) je me souviendrai toujours de ce vieil homme (9) que je laisse derrière moi (8), son rire (7), ses mots (6), de ce film qui m’a ouvert les yeux (5) sur ce monde passé (4), de cette planète (3) que je n’ai pas connue (2) et qui ne me verra pas grandir (1), de ce dernier câlin (0).

Ces 10 jours de ma vie l’auront changée à jamais. Que vais-je faire maintenant ? Il ne faut plus que tout cela se reproduise. Je vais bientôt m’endormir, car le voyage sera long, il est temps d’ouvrir mon cadeau…un nouveau smartphone ! Je ris, sacré Mr Barrie, il a fini par se moderniser ! Et…des écouteurs ? Ok, écoutons…

« Imagine there’s no countries, It isn’t hard to do, Nothing to kill or die for, No religion too, Imagine all the people, Living life in peace… »

Au son de cette musique, je m’endors… je le sais, la vie va changer, il suffit de le vouloir.