Une chose est sûre, c’est que j’ai toujours voulu voyager. Voyager partout sans aucune limite. Voir des beautés que personne n’a jamais vues, entendre le silence de la nature que personne n’a jamais entendu, respirer l’odeur vivifiante de la faune et de la flore que personne n’a jamais respirée et toucher chaque élément bien précis de Mère Nature que personne n’a jamais touché, et ressentir tout ça jusqu’aux tripes. J’ai toujours eu une passion secrète pour cette mystérieuse nature, l’eau, la terre, la lumière… A chaque fois que j’apporte une petite plante ou une photo de paysage idyllique afin de la poser sur mon petit bureau, il me suffit de m’absenter un court instant pour voir qu’elles ont disparu. Une sorte de “vigile” fait régulièrement une tournée des différents bureaux pour s’assurer qu’ils ne contiennent aucun objet pour nous déconcentrer ; selon eux, avoir quelque chose ayant un rapport avec le monde extérieur nous pousse à revendiquer notre liberté et à partir. Je travaille dans une grosse entreprise en tant que misérable secrétaire dans une pièce de 5 mètres carrés. De 8:00 à 19:00 je me trouve dans cette boîte froide, sans lumière naturelle, à peine meublée. Il m’arrive parfois de travailler 12 à 14 heures par jour. Je n’ai plus de temps pour moi depuis la montée des entreprises et le début du travail forcé il y a quelques années dans toutes les grandes villes, je rentre chez moi dans la banlieue chaque soir dans les alentours de 21:00 et je réponds aux besoins de ma fille de 5 ans. Et ainsi se poursuit la routine; déposer ma fille à l’école, travailler, aller chercher mon enfant puis rentrer et m’affaler dans mon lit, exténuée. Pendant la montée des puissantes industries, beaucoup de populations ont migré vers les campagnes pour éviter le nouveau mode de vie qui allait s’installer peu à peu. C’est ce que j’aurai dû faire aussi. Mais j’étais beaucoup trop jeune du haut de mes 10 ans pour fuir une métropole toute seule sans parents. On m’a prise de force, alors que ma famille avait réussi à fuir, je n’allais pas assez vite pour les rattraper, un garde-frontière m’a empoignée par le bras et ils m’ont placée de force dans une famille qui était dorénavant destinée à travailler dans ce nouveau système. Une fois que j’ai commencé à travailler à environ 16 ans, les entreprises continuaient de s’accroître de jour en jour, arriva un moment où elles étaient en manque de personnel, toute la ville sans exception travaillait sans arrêt. Ils ont donc mis une règle en place, toutes les femmes en âge de procréer devaient impérativement faire un enfant minimum pour augmenter la population. C’est donc comme ça qu’est arrivée ma fille. Je ne sais même pas qui est le père et je ne le saurai jamais. J’ai continué à travailler pendant toute ma grossesse jusqu’à mon accouchement. J’ai par la suite eu mon premier appartement dans cette fameuse banlieue où chaque travailleur loge. Nous avons trois caméras dans chaque habitation ainsi qu’une multitude d’autres dans tous les endroits publiques de la ville, nous sommes surveillés en permanence 24 heures sur 24 pour être sûr qu’il n’y ait aucun signe de rébellion ou de mouvement de manifestation. J’ai fais trois burn out et six tentatives de suicide depuis. Il est 10:43, je suis au bureau en triant tous les dossiers dans l’ordre alphabétique. J’entends frapper à ma porte, c’est bizarre, je ne reçois jamais de visite habituellement. “Oui??” Un homme entre donc, il semble assez nerveux comme si il avait peur que quelqu’un le surprenne ici. “Je n’ai pas beaucoup de temps, j’ai une lettre qu’on m’a envoyé vous donner.” Il se précipite vers ma porte sans ajouter un mot de plus, puis, je n’ai même pas le temps de répondre qu’un surveillant accourt vers lui, le prend violemment par le col de sa chemise pour le sortir. Après avoir été chercher ma fille, je rentre chez moi perturbée par cette visite inattendue. Je vais coucher ma fille puis je décide d’ouvrir cette lettre ; “ Ma fille, Cela fait plusieurs années que je cherche un moyen de te transmettre cette lettre, j’espère qu’elle arrivera jusqu’à toi rapidement. Je n’ose pas imaginer les conditions dans lesquelles tu vis ma puce… Rejoins-nous ici, dans cette magnifique campagne qui ne demande qu’à être découverte ! Tu es intelligente, je sais que tu trouveras un moyen de fuir cet horrible système. Plein d’amour et de nature ! Maman” Je m’écroule. Je pleure. Je pleure encore plus fort. Après quelques instants, je décide de me calmer et de prendre le temps de réfléchir à ce qu’il va se passer ensuite. Comment je vais faire ? Comment fuir ? Avec un enfant ? J’ai passé la nuit entière à planifier mon départ, je me souviens comment mes parents s’y étaient pris, et je me rappelle où se trouve l’endroit par lequel ils ont pris la fuite. C’est ce soir que Camille et moi nous prendrons notre envol vers une vie meilleure. Au travail, ma nervosité ne fait qu’accroître au fur et à mesure des heures s’écoulant à une lenteur insoutenable. Il est 21:27, aussitôt ai-je franchi le seuil de l’entrée de mon appartement, je me dépêche de préparer le strict minimum dont nous avons besoin Camille et moi pour notre départ, tout ça dans le noir complet pour ne pas être visionnée par les caméras. Tout est prêt. Il est temps. J’attends quelques temps avant de partir, on partira au milieu de la nuit. Nous sommes totalement vêtues de noir pour être le moins visibles possible dans la rue.Dans la rue, je marche, j’ai peur, extrêmement peur, Camille me tient gentiment la main. La rue est couverte d’un lourd silence qui accentue mon angoisse. On arrive à l’entrée par laquelle ma famille s’est encourue, soudain, j’entends qu’il y a du mouvement pas loin de nous, ça se rapproche. Je m’empresse de nous frayer un chemin vers la sortie, je commence à reconnaître le bruit de pas des gardes de rue, le bruit que j’ai fait a sûrement attiré leur attention. Je les aperçois soudain au bout de la ruelle dans laquelle on se trouvait, Camille se met à pleurer, ils se précipitent vers nous à une vitesse surhumaine. Je parviens à former le trou pour sortir, je fais passer d’abord ma fille, je passe ensuite difficilement et parviens à passer de l’autre côté, je me dépêche de prendre ma fille à bras et de courir à toute vitesse dans une direction aléatoire pour m’éloigner le plus possible de la capitale. Il est 5:34 du matin, cela fait 2 heures que j’ai quitté la ville, Camille s’est endormie dans mes bras; le jour se lève. Je ressens toutes des sensations que je n’avais jamais ressenties auparavant. Mes sens s’éveillent enfin. Je sens les premiers rayons de soleil caresser ma peau, l’herbe humide laissant s’accrocher des gouttelettes d’eau sur mes chaussures usées, je sens l’odeur de l’évaporation des cours d’eau voisins et des grands arbres et je vois le lever des couleurs pastelles prenant place dans cette magnifique nature. Au loin, je vois des lueurs d’un petit village. Camille ouvre les yeux, regarde autour d’elle et me sourit. C’est un nouveau départ d’une vie au goût de la liberté.