La pluie ruisselait sur les pavés. On entendait les usines qui travaillaient de nuit, et qui recrachaient leur fumée en toussotant. Nous traversions la ruelle sombre en trottinant pour aller nous mettre à l’ abri. Bras dessus bras dessous, Abigael m’accompagnait. J’avais rendez vous pour une course de l’autre côté de la ville. Abigael sursauta en entendant un bruit sur sa gauche. Une bouteille vola en éclats et des rats s’enfuirent de la ruelle voisine. Nous continuions à avancer, traversant les nuages de smog qui longeaient les plus grosses usines de la ville. J’y pensais souvent, mais pouvait on appeler cela une « ville » ? Elle n’était en réalité que le quartier industriel situé sous Piltover , la partie immergée de l’iceberg. Ici se réunissaient les pauvres, les malades, les parias rejetés d’en haut et les nombreux orphelins comme nous. Les parents de ma copine sont tous les deux morts d’une maladie pulmonaire, tués par leur travail de sidérurgie à l’usine. C’était elle qui me maintenait debout, qui me donnait de l’espoir, car comment envisager un avenir dans ce monde ? La commande devait être livrée haut dans ce même Piltover . Celle –ci était tout l’inverse de ce trou à rats. Les rues étaient belles, les bâtiments montaient jusqu’au ciel, presque à en percer les nuages. En haut, pas de gens comme nous, malfamés ou rejetés de la société. C’était là une société qui reposait sur sa technologie, cherchant toujours à se surpasser, quitte à exploiter les plus faibles.
Après un quart d’heure de marche, on était enfin arrivé à l’atelier du professeur. Les rumeurs disaient que c’était un très grand inventeur de son temps. J’avais du mal à le croire, ce type était complètement fou, mais il était au moins gentil avec nous. Je toquai à la porte par politesse et entra sans attendre. Il remarqua à peine notre présence. Je déposai bruyamment le paquet sur la table.
– « Ah, dit-il, tu l’as enfin amené, voyons voir… cette pièce sera parfaite ! » Même pas un bonjour, ou un merci, pensais-je
-« Désolé, je n’ai pas de quoi te payer » finit-il par dire.
-« Et comment allons-nous manger ? », dis-je avec colère avant de me lever de ma chaise et m’en aller. Je pris d’abord ma veste sur le porte-manteau et claque la porte derrière moi.
-« Nan mais pour qui nous prend-t-il, dis-je, C’est déjà assez dur de survivre par ici ». La pluie avait cessé. Abigaël, contrairement à moi, n’était pas du genre à s’énerver et savait rester calme dans toutes les situations. Enfin, je lui dévoilai la veste que j’avais prise en plus sur le porte manteau. Ce n’était pas la mienne mais bien celle du professeur. Quand j’étais plus jeune, j’avais pour habitude de voler pour survivre, à croire que mes vieux démons refaisaient surface. Je fouillais les poches, l’allégea du contenu de ses pièce et découvris enfin un morceau de papier rectangulaire. Je ne savais pas lire, mais j’en avais déjà vu auparavant. C’était un laisser passer qui permettait d’emprunter l’ascenseur qui menait au sommet de la ville. Il fallait habituellement payer une taxe pour pouvoir monter, un prix bien sûr trop élevé pour les gens d’ici, gagnant une misère. Soudain, j’ai eu une idée. Je me tournai vers Abigaël en lui montrant le laisser-passer. Elle comprit tout aussitôt et je la serrai dans mes bras.
-« Notre vie va enfin changer, lui murmurais-je »
. . .
« Mais comment allons-nous faire ? Me demanda-t-elle »
Je pris le peu d’affaire qui nous appartenait et mis le tout dans un sac. Le lieu où nous vivions n’avait rien d’un petit lit douillet. Ce n’était en réalité qu’un vieux garage à l’abandon, il nous préservait des intempéries et du froid nocturne.
« Eh bien, le billet fera le plus gros du travail, mais il nous faudra passer inaperçu. Lui répondis-je »
A ce moment-là elle sut que j’étais trop entêté, et que rien ne me ferais changer d’avis. Je finis les derniers préparatifs et l’on se mit en route. « La Grande Porte » comme on l’appelait ici, était l’ascenseur qui permettait de se rendre au sommet de la ville. Enfin arriver, nous fîmes face à l’ascenseur. Il était rouillé de tous part. On avait du mal à croire que cet engin fonctionnait réellement, mais à cause de règles très strictes imposées là-haut, peu de gens avaient le droit de descendre dans les bas-fonds, et encore moins d’ici pouvaient monter. Les quelques malheureux ayant essayé d’aller dans ce monde libre étaient traqués et emprisonnés par une police cruelle et sans merci. Suite aux nombreuses tentatives de migrations, les dirigeants du Grand monde décidèrent de tout investir pour garder leurs privilèges. Une fois entré, la porte se ferma brusquement, et celui-ci commença son ascension. Comme pour charrier le passé, je déchirai le laissez-passer en mille morceaux et le jetai par-dessus la ville. Jamais je ne reviendrais dans cette misère.
C’est peu après que l’on découvrit un spectacle à la fois magnifique et horrible. Abigaël et moi avions une vue splendide sur toute la ville. Voilée d’un linceul brumeux, on pouvait y voir au petit matin toute la vie qui s’activait, aussi bien les mendiants qui faisaient la manche, des gens harassés qui partaient à leur travail, que les immenses usines qui se remettaient en marche. On distinguait à la fois la misère ici-bas, et l’espoir qu’ils avaient tous d’un jour avoir une vie meilleure. Nous arrivâmes ensuit tout en haut. Il faisait sombre, seules quelques lumières vacillantes étaient là pour nous éclairer. Un long tunnel menait sur l’extérieur. La traversée de celui-ci ressemblait à une deuxième naissance. On avança en silence vers la lumière, le bout du tunnel. A la sortie, on eut le souffle coupé. On découvrit de nos yeux la vraie ville de Piltover. Elle était éblouissante, comme jamais on aurait pu se l’imaginer. Ici on pouvait apercevoir les nuages et le soleil. Entendre les chants des oiseaux se mêler à la foule. Et les bâtiments étaient d’un blanc éclatant. Le tunnel débouchait sur une petite place situé dans le centre-ville. Je m’approchai de la fontaine qui trônait au milieu de celle-ci. Sentir le soleil sur ma peau me remplissait de joie. Je pris donc Abigaël par les mains. Nul mot n’aurait pu décrire tout l’amour que je ressentais à ce moment précis. Le regard plongé l’un dans l’autre, je souris pour la première fois…
Finalement, tout n’était pas rose dans ce monde. L’euphorie une fois passée, je redescendis les pieds sur terres. Tous les gens de cette maudite place nous regardaient. Sur leurs visages on y lisait un mélange de dégout et de peur. Je commençai à me sentir mal à l’aise, comme si tout le monde ici me répétait que je n’étais pas à ma place ici, que cette ville ne voulait pas de moi. Enfin un nouveau sentiment me remplit : la colère. J’avais envie de crier, jusqu’à ne plus avoir de souffle, de leur dire tout ce que j’avais vécu, et tous les sacrifices que j’avais dû faire pour y arriver. Eux avaient tout, moi je n’avais rien, pourquoi ils ne pouvaient pas le comprendre ? Mon cœur se mit à s’emballer. Je pris la main de mon amies, la tirai vers moi et commençai à courir. Petit à petit les larmes me montèrent aux yeux. Peut-être que me sentir loin de chez moi et expulser me faisait de la peine.
A bout de souffle, on s’arrêta dans une petite ruelle. J’étais profondément blessé, et ça Abigaël le voyait dans mon regard. Jamais elle ne m’avait vu dans un tel état.
– Tu es sûr de ne pas vouloir redescendre ? Me dit-elle.
– Moi vivant, je ne retournerai pas dans cet endroit. Répondis-je avec un ton froid.
Soudain je remarquai du mouvement dans l’avenue transversale à la ruelle. Des hommes en uniformes se rassemblaient et venaient vers nous. Des citoyens avaient dû les prévenir de nos présences, ils venaient pour nous coffrer. Je fis volte-face et commençai à courir dans la petite ruelle. Les policiers se lancèrent à notre poursuite à travers la ville. Pourquoi cela devait finir comme ça? On allait être rejeté dans ce trou à rat. Quel était la différence entre nous et ceux d’ici ? Toutes ces questions trottaient dans ma tête. Epuisé et affamé, on perdait petit à petit du terrain sur nos poursuivants. Et bout de force, je tombai, emportant Abigaël dans ma chute.
-C’est la fin du voyage. Murmurais-je en fermant les yeux.
Une explosion retentie, l’onde de choc balayant les rues. Tout fut bousculé, les vitres explosent en millier de morceau d’étoile. Vint ensuite une déflagration. Beaucoup plus calme, lente, comme une vague se déposant sur la plage. Elle m’engloutit. Je ne sentis même pas sa chaleur. J’étais enfin libre, échappé de ce monde ou je ne sentais pas à l’aise.
Peu de temps après, les gens vinrent voir, poussé par leur curiosité. La bombe avait laissé un trou béant dans cette ville hypocrite, qui promet le paradis mais réserve l’enfer. On y voit maintenant les sous quartier, là où règnent la pauvreté et la discorde. Enfin ces privilégiés voient sur quoi ils marchent tous les jours, sans penser quel leur privilèges, ils les doivent à nous, les gens de … Zaun.