Je m’appelle Noé, j’ai 14 ans et j’ai soif. Je suis né à la mauvaise place. Mon pays au temps de mon grand-père regorgeait de fleuves maintenant vides. Il y avait de la neige au sommet des montagnes. Maintenant elles sont tristes et livides. Mon grand-père est vieux et sec.
Je vis avec lui et mes parents dans un village à côté du désert et adossé à un mur de pierre. De l’autre côté du grand mur, il y a le jardin d’Eden. C’est comme ça qu’on l’appelle dans mon village. Mon village est un petit labyrinthe de maisons construites avec les déchets jetés par le jardin d’Eden. Il y a un puits à quelques kilomètres du village. Les jeunes adultes sont chargés d’y chercher de l’eau mais c’est dangereux.
Hier, j’ai essayé de passer le mur. J’étais accompagné de deux amis, Ilias et Leila. Mes parents dormaient et mon grand-père était trop occupé à regarder les étoiles. Il était sûrement dans ses souvenirs. Il était 23 heures quand je suis sorti de chez moi. J’ai marché sur les toits en silence. On s’est retrouvés mes amis et moi sur la plus haute maison qui touchait le mur. Ilias stressait et Leila était déterminée. Le mur, légèrement penché et rempli de rochers, reste difficile à grimper. On l’a escaladé pendant une demi-heure. Mes doigts étaient écorchés et ensanglantés, je ne les sentais presque plus. Puis, nous avons emprunté un petit escalier et sommes enfin arrivés tout en haut. Le mur faisait plus ou moins 20 mètres de largeur et on ne voyait presque rien. J’ai commencé à marcher instinctivement tout droit jusqu’au bord du mur. J’ai vu le jardin d’Éden. L’air était devenu humide. Il y avait un bruit de ruissellement comme si un fleuve passait. J’ai fermé les yeux. Ma tête était vide. J’avais enfin compris pourquoi mon grand-père était si tranquille quand il était plongé dans ses souvenirs. J’aurais pu rester comme ça des heures. Tout à coup, j’ai entendu Ilias crier mais c’était déjà trop tard.
J’ai à peine eu le temps d’ouvrir les yeux que j’ai senti un gros coup sur la tête.
On s’est réveillés dans une caserne. J’étais accroché à un poteau avec une corde.
J’avais tellement peur que j’étais incapable de bouger. Le garde était posé sur une chaise.
Il buvait de l’eau comme pour nous narguer. Je salivais et me débattais en voyant l’eau.
Il a crié “Eh la grande, viens ici !”. J’avais peur, je sentais mon cœur battre, mais Leila devait avoir encore plus peur que moi. Le garde a posé un verre d’eau devant elle. 5 minutes sont sûrement passées mais c’était les plus longues de ma vie. Pendant ce temps, Ilias et moi essayions de nous libérer discrètement. Leila a finalement osé lever la main pour atteindre
le verre d’eau, mais le garde n’attendait que ça. Il a voulu lui donner un coup que Leila a esquivé avant de lui balancer le verre d’eau sur la tête. Le verre s’est fracassé sur le crâne du garde et un peu de sang est sorti. Malheureusement, cela n’a fait qu’augmenter sa colère.
Il a sauté sur elle et commencé à lui donner des coups. Là, j’ai vraiment perdu le contrôle.
J’ai déchiré les quelques morceaux de cordes qui me retenaient encore et j’ai attrapé son cou. Je n’avais plus rien d’humain. La colère, la peur et la soif tourbillonnaient dans ma tête. J’ai serré son cou encore et encore comme si je voulais le briser.
Quand il a arrêté de se débattre, j’ai compris ce que je venais de faire. J’avais envie de vomir. Le sang de Leila mêlé à celui du garde a formé une flaque. Ilias a murmuré “Tu l’as tué”.
On est repartis tous les trois.
Sur le chemin, Ilias portait Leila sur son dos. Elle respirait lentement. J’avais du mal à concevoir ce que je venais de faire. Je n’ai même pas eu le temps d’y penser car nous avons entendu d’autres gardes et avons couru à toute vitesse. Ils gagnaient du terrain et j’ai senti un moment que notre fin était proche. Tout à coup, Leila a murmuré faiblement “Laissez-moi ici, vous gagnerez du temps !”. C’était hors de question, mais elle ne nous a pas laissé le choix. Elle a mordu Ilias qui, par surprise, l’a lâchée. Elle a crié avec ses dernières forces “Courez, partez vite”. Nous avons filé. Alors que je descendais du mur, ma vue devint floue, sûrement à cause de mes larmes.
Lorsque je suis arrivé chez moi, mes parents m’attendaient. J’ai expliqué toute la vérité.
Mon père m’a giflé tellement fort que j’en ai perdu l’équilibre. Ma mère a raconté toute l’histoire à la mère de Leila. Les pleurs et les cris de sanglots de la mère de Leila étaient insupportables. J’avais l’impression que mon cœur se déchirait. Mais demain, je réessaierai de passer le mur, car j’ai soif, trop soif.