Il y a quelques temps, je devais me rendre sur Mars pour une convention sur le nouveau vaisseau Hermas. Le voyage entre Elita et Mars dure deux heures d’après la voix annonçant le décollage. Notre pilote est un humanoïde qui n’a que pour seul but de faire les voyages entre Mars et Elita. Sa vision est relayée à la tour de contrôle d’Elita, qui vérifie si tout se passe bien sans pour autant prendre les commandes du vaisseau, laissant cette charge aux intelligences artificielles en qui ils ont entière confiance.
Elita est une planète où je passe le plus clair de mon temps. Vingt millions de personnes s’y trouvaient encore hier mais ce chiffre varie de jour en jour, Elita étant une planète de transit pour les voyageurs qui veulent entrer ou sortir de la Voie Lactée. Le peu d’habitants que compte Elita sont les chercheurs qui travaillent sur les transports intergalactiques car ma planète est faite en majeure partie d’asophymte, un métal utilisé pour les vaisseaux d’aujourd’hui.
La planète Mars, elle, est connue pour être le premier lieu d’habitation des humains. De nombreuses ruines des premiers humains de la galaxie s’y trouvent. Ensuite, les Martiens ont colonisé les autres planètes de la galaxie. Mars est aujourd’hui le siège de la Voie Lactée et un refuge pour les érudits.
Arrivé sur Mars, j’allai chercher ma valise et je me mis en route pour Eclipsia, la capitale de Mars et le lieu de la convention. Le voyage pour la capitale s’effectue en RiaT-re, une cabine volante qui se déplace grâce à un fil relié à la gare d’Eclipsia et qui se rétracte au fur et à mesure. Le trajet ne dure qu’une demi-douzaine de minutes. Ma conférence se tenait dans deux heures au Capitole. Je décidai donc de visiter ces fameuses anciennes habitations des premiers humains. Les vestiges ne sont aujourd’hui plus utilisés, simplement laissés en ruines par les Martiens qui trouvent inutile de réparer ces habitations. La plupart sont recouvertes d’une fine poussière rouge, typique de Mars, venue se déposer sur les ruines avec le temps. Je vis alors un taudis, qui semblait relativement en bon état par rapport aux autres. Je pris l’initiative d’aller y jeter un coup d’œil.
En m’approchant, je crus voir une lumière émaner de la maison et décidai d’y entrer. Quelqu’un semblait habiter le taudis. L’intérieur était propre et l’endroit avait l’air chaleureux. J’appelai alors, n’espérant pas spécialement une réponse. Une voix rauque me répondit et je vis un homme apparaître devant moi. L’homme, qui semblait avoir au moins 140 ans, m’assura en avoir 180. Une prouesse, car l’espérance de vie dans notre galaxie est de 130 ans ! Le vieillard est trapu, habillé dans un style qui semblait dater d’il y a 100 ans et a un barbe blanche allant jusqu’aux genoux.
L’homme m’invita à sa table. J’acceptai, n’ayant pas mangé depuis mon départ d’Elita. Pendant le repas, il m’expliqua comment il s’était retrouvé ici, comment, ayant appris à vivre et se débrouiller seul, il était devenu indépendant et n’avait besoin de personne pour l’aider à vivre. Le vieillard était issu d’une des familles les plus riches de Mars à l’époque du Jora, c’est-à-dire la plus ancienne période historique pour laquelle nous avons les traces d’une civilisation. Ses aïeux possédaient une grande partie de Mars, dont les ruines que j’avais visitées. Je dus prendre congé du vieil homme car je n’avais plus qu’une heure avant que la conférence ne commence.
Je revins le lendemain rendre visite à l’homme de 180 ans et tous les jours suivant pendant une semaine, mon séjour sur Mars ayant été allongé car une autre conférence devait se tenir 8 jours plus tard. Devenus amis, nous nous parlions de nos jeunesses respectives. Lui avait vécu toute sa vie sur Mars contrairement à moi qui était né sur Jupiter pour, à ma majorité aller faire mes études à Elita et y rester.
Ma seconde conférence terminée, je m’apprêtai à aller rendre ma dernière visite au vieillard. Mon vaisseau pour retourner à Elita décollait à 21 heures. Il me restait encore cinq heures pour lui dire au revoir sachant que je ne reviendrais pas sur Mars avant un bon moment.
Il m’accueillit comme il avait l’habitude de le faire. Nous parlions comme à notre habitude quand soudain, il me demanda que ce qui allait suivre reste entre nous. J’acceptai ne comprenant pas où il voulait en venir. Il m’avoua alors un secret qu’il avait gardé tout ce temps pour lui et qui ne se transmettait que de génération en génération dans sa famille. Il transgressait cette règle pour que la vérité persiste mais aussi parce qu’il me faisait confiance et pensait que j’en ferais bon usage. Tandis que moi, abasourdi par ce que je venais d’entendre, je ne savais que répondre.
« Ma fin approche, me dit-il. Avant cela il y encore une chose que je dois accomplir. Transmettre mon ultime savoir à la génération suivante. Comme tu le sais, les plus anciennes sources humaines découvertes se trouvent sur Mars. Mais c’est sur une autre planète que la civilisation humaine a commencé à exister. Cette planète s’appelle la Terre. Les Terriens, nos ancêtres, ont dû la quitter car un virus mortel qui se transmettait par l’air rendait la vie sur Terre impossible. Beaucoup l’ont donc quittée, la mort dans l’âme. Aujourd’hui, ce secret persiste pour plusieurs raisons ; se rendre sur Terre signerait l’arrêt de mort et certains seraient assez fous pour quand même s’y rendre. Ensuite, beaucoup d’objets nuisibles à la vie s’y trouvent. Il y aurait sur Terre des armes pouvant tuer d’un simple coup un humain! Quelqu’un avec de mauvaises intentions pourrait détruire une planète entière avec ce qui s’y trouve ! C’est pour ces raisons que le gouvernement de l’époque a décidé de noyer le poisson concernant l’existence de cette planète. De tous ceux qui ont tenté d’aller sur Terre depuis le Jora, aucun n’est revenu. La zone a d’ailleurs été classée en chemin interdit et plus aucun vaisseau n’y passe à un rayon de plus de 60 millions de kilomètres. Je te dis cela pour agrandir ta vision de l’humanité et non pas pour que tu ailles t’y aventurer. »
Je repris mes esprits. Je sentais planer sur moi une grande responsabilité. Je dis alors que pour le bien de la science, des recherches devaient être entreprises à ce sujet. Le vieillard, mécontent par ce qu’il venait d’entendre me dit :
-Tu n’as pas compris ce que je viens de te dire ? Personne ne revient des explorations terriennes. L’air là-bas est mortel.
-Mais une telle histoire ne peut être ignorée ! m’écriai-je. Tant d’histoires et de connaissances perdues est inenvisageable. Avec un bon équipement, même l’impossible est concevable, dis-je en bon scientifique.
-Tu sous-estimes le pouvoir de la nature et des anciens Terriens, me répondit-il.
Je partis en rogne et retournai sur Elita.
De retour à Elita, l’idée folle d’un voyage sur Terre m’excitait au plus profond de mon âme. Malgré cela, je me concentrais sur mon travail tout en gardant en tête l’envie de découvrir la terre d’habitat des premiers humains. Ayant passé mon diplôme de pilote et ayant construit des vaisseaux dans ma jeunesse avant de devenir chercheur sur de nouveaux vaisseaux, je pourrais moi-même fabriquer et conduire mon engin spatial. Pendant trois mois, je construisis un vaisseau extrêmement résistant et très maniable.
Trois mois plus tard, j’étais prêt. Le vieillard m’avait dit que la Terre était visible de Mars si on regardait vers le Soleil. Je partis d’Elita pour faire escale sur Mars avant d’aller sur la Terre.
Sur Mars je repérai effectivement un point qui était proche du Soleil . Je m’en approchai. La beauté de la Terre me subjugua et j’y fus attiré comme par un aimant. Après avoir pénétré l’atmosphère terrienne, je descendis et atterris sur la terre ferme.
Je sortis du vaisseau. A peine avais-je posé mon pied sur Terre que je sentis ma protection se désintégrer. Ma gorge me brûlait et je sentais que l’air – qui semblait de prime abord si accueillant – m’étouffait. Tel Icare je mourus ayant voulu défier une force inconnue.