Se réveiller auprès de Nicolas restera toujours mon plus grand bonheur matinal. Aujourd’hui on fête nos dix ans de relation, c’est incroyable de l’aimer à ce point alors que je n’avais que 17 ans quand nous nous sommes rencontrés. Il est tout ce que j’ai de plus cher, mon meilleur ami, mon protecteur et surtout ma plus belle réussite.
« Les bruits des claviers d’ordinateurs résonnent en harmonie. »
Pourtant, avant Nicolas, la chance n’était pas de mon côté. J’étais jeune mais j’avais un amoureux, Thomas, il était fou de moi mais cette folie l’a conduit à devenir ma plus grande peur. Je me souviens de ses mots violents qu’il transformait en coups puissants. Je m’enfermais au crépuscule, car même s’il m’était devenu très complexe de tenir le coup, je me donnais le mal de vivre, pour lui, pour nous. Chaque fois qu’il devenait violent, je lui pardonnais en me promettant que c’était la dernière fois. A cette époque, l’esprit humain n’était pas encore parvenu à mettre les femmes sur le même piédestal que celui des hommes. On n’en était pas loin, on ne mourrait plus du cancer, ni de vieillesse. Mais bien de ne pas avoir assez vécu. L’amertume et le mépris nous rongeaient mais pas tant que la violence. Les coups et les injures nous rappelaient la déception de n’être que le jouet des hommes. Ils n’arrivaient pas à nous aimer correctement, alors, ils faisaient semblant. J’ai le cœur terriblement lourd quand je repense à lui. J’aurais adoré qu’il me prouve qu’il n’était pas comme ça, que j’avais tort et qu’au fond il n’avait pas l’âme aussi abimée. Je me sens si coupable de ne pas avoir su l’aider.
« Sur le trajet, je suis inquiet, j’ai rechuté hier. Tous les efforts que j’ai réalisés sont réduits à néant, j’espère que je vais arriver à gérer cela au travail. »
Comme on le dit souvent, j’étais là pour lui dans les bons comme dans les mauvais moments. Mais après un an de relation, les problèmes ont commencé. Lors d’un dîner en amoureux, Thomas a perdu pied quand mon téléphone a sonné alors qu’il me parlait. Mais il n’est pas comme ça, ce n’est pas lui. Il est un homme si attentionné avec qui je passe de merveilleux moments. De toute façon, les coups qu’il m’a donnés, ces côtes qu’il m’a cassées, tout cela était de ma faute, j’aurai dû éteindre mon téléphone lors de cette magnifique soirée. Surtout que, quand on file le parfait amour, il faut éviter de lui donner une raison de déraper. Malgré son côté violent, il reste si gentil avec moi…Il est mon imparfaite perfection, il restera pour toujours, mon Thomas chéri.
Aujourd’hui, en 2030, je songe à toutes les choses qu’il m’a dites, tous ces mensonges qu’il avait pu accumuler au fil des jours et j’ai le cœur qui se serre quand je pense que j’y ai cru sans jamais en douter. Je m’étais promis de ne pas le haïr, mais quelque chose gronde en moi, parce que ce n’est pas honnête et que dans cette histoire, il n’a même pas pris la peine de regarder où il mettait les pieds quand il écrasait tout mon espoir. Ma tête tourne encore et encore, mon silence signifie bien plus de choses que tous les cris de la terre. Le vide, le manque et la haine m’ont rendu si morose. Le pire c’est que nous n’avons pas vécu la même histoire, malgré ses coups et menaces, je l’aimais de toutes les teintes de pastels, de toutes les nuances de l’aurore tandis que lui, il m’aimait en noir et blanc. Il avait presque réussi à m’abrutir comme une bête que l’on envoie à l’abattoir. Il restait terrorisé à l’idée de m’aimer, il n’était qu’un empire qui tombe en ruine, désert et aride. Je lui en veux d’avoir anéanti ce qu’il restait de moi, mais je ne peux toujours pas le détester de manière irrévocable. Il sera, jusqu’à ce que je m’éteigne, mon unique talon d’Achille. Je m’en veux d’avoir crié à quel point je lui en voulais d’avoir brisé mon cœur, mes rêves et mes côtes et je continuerai à lui en vouloir jusqu’à ce qu’il pourrisse dans son trou. Ça n’arrivera plus. Plus jamais je ne lui laisserai la possibilité de gâcher ma vie.
« Comment tu vas ? Ça a été ton week-end ? Tu as l’air fatigué ? C’est encore ta femme qui te rend fou ? Tout le monde rigole, personne ne peut comprendre à quel point ces réflexions sont blessantes pour un homme comme moi qui revient de si loin. »
Heureusement tout cela est passé. Mais que d’efforts à faire pour oublier. On ne pense qu’à ça : oublier. On élabore des stratégies, on trouve toutes sortes de stratagèmes. Et tout ça pour ça ? Pour rien, pour effacer les souvenirs… C’est si douloureux. Pourtant je pense que ça va maintenant. J’arrive à sentir sur un passant, un inconnu, son parfum sans avoir le vertige. Je n’ai plus besoin de lui depuis que Nicolas est là. Il est loin et il le restera à tout jamais.
« Depuis le jour où lors du repas de fin d’année de la société, j’ai hurlé et menacé ma femme de la quitter pour diverses raisons insensées que les voix dans ma tête me soufflaient, mes collègues ne me voit plus de la même manière. Pourtant je me suis calmé et ma femme a compris que toute la haine que j’ai déversée sur elle venait d’un profond dégoût de moi-même. Ce n’était pas la première fois que cela m’arrivait. Mais, cette fois-ci, j’ai réagi. J’ai admis que j’étais malade. Je consulte et je n’en suis pas gêné. »
Des projets nouveaux ont pris le dessus par rapport à ma douleur. Thomas est ailleurs, dans un autre monde qui n’a plus aucun lien avec le mien. Il ne peut plus avoir d’impact dans ma vie. Je suis si fière d’y être arrivée !
Et puis je m’investis dans une nouvelle cause qui me tient à cœur. Depuis 2021, tout va mieux, les dirigeants ont enfin compris les enjeux écologiques. J’ai encore du mal à comprendre ce qu’il les a fait changer d’avis, c’est peut-être la montée des eaux qui ont englouti la côte belge, l’incendie en Australie qui a brûlé plus que la superficie de la Belgique ou encore la mort de la moitié des espèces animales. Mais enfin, peu importe tant que nous prenons soin de notre magnifique Terre.
« Leurs voix résonnent à nouveau dans ma tête. Non, je ne vous écouterai pas. Vous m’avez fait trop de mal. Ça ne peut pas recommencer.»
Nicolas et moi, on a le même but : prendre soin de la terre et lui rendre ce qu’elle nous donne. Il travaille de nuit dans une usine qui fait de la recherche sur la reprise naturelle de la pollinisation par les abeilles. C’est un travail qui consiste à réaliser des expériences sur les plantes mais de nuit. Ce n’est pas facile à gérer pour notre quotidien mais le jeu en vaut la chandelle. Aujourd’hui, son projet touche à sa fin. Une nouvelle technique a été découverte et va pouvoir être mise en pratique. Je suis tellement fière de lui.
Nous attendions la fin de ses expériences pour nous concentrer sur notre mariage et l’arrivée de notre bébé. Je suis enceinte depuis 5 mois, on attend une fille ! Le monde est vraiment parfait grâce à Nicolas.
« Mon combat intérieur m’a fait oublier qu’il y a dix minutes, ma patronne voulait me voir, je cours vite dans son bureau. »
Il était si heureux d’apprendre que notre petite famille allait s’agrandir. Son travail n’a pas été facile tous les jours et cela lui donne le courage pour persévérer quand les nuits étaient trop pesantes. Hier, on en a parlé pendant de longues heures et cette conversation s’est finie par énormément de larmes de sa part, il a vraiment besoin de repos.
« Après cette réunion, je me sens plus apaisé, elle a décidé d’alléger ma journée vu mon état psychologique. Ce soir, ce sera du classement de dossier pour moi. Je suis vraiment heureux qu’elle comprenne que j’ai parfois besoin de respirer.»
Pour célébrer la fin de son contrat, à 22h, je commencerai à lui préparer une surprise, un petit dîner tous les deux, en amoureux.
« Etre bipolaire change totalement ma vision du monde actuel, ce poids constant sur mes épaules me pèse. Je ne pensais vraiment pas qu’après mon hospitalisation, je pourrais rechuter. C’est incroyable cette constante envie de s’envoler loin de mon quotidien. »
C’est bon, tout est prêt pour son retour. Le repas est prêt, la table est mise et j’ai su imprimer une photo de notre fille que je lui ai encadrée. Cette soirée va vraiment nous faire du bien.
« Ça devient insupportable. »
« Je craque, je laisse les derniers dossiers de côté, je suis trop fatigué. En passant une bonne nuit de sommeil, je serai plus productif demain. »
« Sous les yeux innocents des passants, je m’arrête et j’essaye de calmer ma respiration. »
« Ma patronne m’appelle à 23h, c’est inhabituel. J’espère qu’elle va bien. »
« Comment cela a pu arriver ? »
« Pourquoi personne ne m’a prévenu que ce dossier devait obligatoirement parvenir au directeur de la production ? »
« Je laisse ma femme seule et je cours vers la centrale, je dois pouvoir régler ce problème. »
« J’arrive trop tard, tout brûle, je m’en veux tellement. »
Tout ce qui me vient à l’esprit, c’est « Thomas qu’as-tu fait ? »
Il est 5h passé… Nicolas devrait être là depuis plus d’une heure. Son travail lui prend énormément de temps.
Je ne me sens pas bien, tout tourne autour de moi. Comment cela a-t-il bien pu arriver ?
Mon cœur bat si vite, je n’ai plus de souffle. C’est ma première crise d’angoisse. Je tremble de tout mon corps mais j’arrive à empoigner la télécommande pour repasser ce flash info, je n’arrive pas à y croire…
Tous nos projets sont réduits à néant. Je n’ai jamais reçu autant d’appels en une nuit. Je suis dévastée. Comment je vais faire pour élever notre enfant seule ? Mon monde vient de s’écrouler, encore, et rien ne sera plus jamais pareil.