Alors que je terminais mes tâches de la journée, le soleil particulièrement vif aujourd’hui me caressait la peau d’une chaleur agréable. C’était encore une belle journée d’été qui se finissait. Le soleil qui se couchait derrière les murs entourant Éden annonçait que notre labour dans le Grand Jardin était fini et que nous pouvions enfin nous reposer. Avant de pouvoir nous détendre avec les autres, nous amenons nos récoltes du jour aux cuisiniers du soir qui venaient seulement de commencer à préparer le repas pour les centaines d’enfants qui vivent sur Terre.
Il n’y a que des enfants ici. Les seuls adultes qu’il reste forment le Cercle des Créateurs. Ce sont eux qui nous enseignent l’histoire de notre monde et la raison de notre arrivée à Éden. Ce monde a été créé pour nous. Nous avons été élus pour vivre ici et nous vivons grâce à ce que nous cultivons depuis 15 ans.
Je retrouve enfin mon frère jumeau, Adam. Selon les Créateurs, Adam et moi sommes les premiers enfants à avoir été amenés au Monde. Cela fait maintenant 15 ans que nous habitons à Éden. Depuis ce jour, j’aime la vie que je vis dans l’atmosphère rassurante qui règne sur la Terre. Comme chaque soir, nous nous réunissons autour du feu afin de partager nos péripéties de la journée. Comme chaque soir, je ris de bon cœur jusqu’à l’heure du coucher où nous rejoignons nos lits dans lesquels nous y dormons d’un sommeil réparateur.
Le lendemain, après le déjeuner, je rejoins mon lieu de travail, le Grand Jardin. Celui-ci se situe à la frontière d’Éden, à proximité des murs. Alors que je commence à ratisser le sol dans le but d’y planter des panais l’après-midi, quelque chose attire mon attention dans le coin de mon œil.
C’était un animal que je n’avais encore jamais vu auparavant. Il ressemblait à un lézard longiforme sans pattes. Je ne pus m’empêcher de le suivre afin de mieux l’observer. Je pensais avoir déjà vu cet animal dans un des livres du Cercle mais je n’étais plus certaine de son nom. Quoi qu’il en soit, je tentai de l’attraper afin de pouvoir le montrer aux autres enfants. Mais sans même m’en rendre compte, j’avais franchi la limite de la zone interdite.
La zone interdite, comme son nom l’indique, est le seul endroit d’Éden que les Créateurs nous ont proscrit de pénétrer. Je ne savais pas ce qu’ils voulaient protéger là-bas mais je ne voulais pas le saccager au risque de causer l’hystérie du Cercle. Je m’empresse de repartir quand, tout à coup, je remarque quelque chose sur le mur, comme une sorte de porte. La tentation est trop forte, je retourne sur mes pas et me dirige vers cette porte en bois. Je tire dessus et… Elle est évidemment fermée à clef. Je retourne sur mon chemin en abandonnant ma quête pour attraper l’animal mystérieux.
Le soir, je pense encore à cette porte. Elle m’obsède. Je n’arrive toujours pas à trouver une explication à ce que j’ai vu. Sur quoi pouvait-elle donc mener ? Les murs sont la limite du monde ! Je décide d’aller en parler à la chef des Créateurs, Greta. À mesure que je lui raconte ma mésaventure, son visage se crispe. Je savais que cela n’allait pas lui plaire. Elle commence bien sûr par me réprimander pour avoir désobéi aux ordres et puis me rassure en me rappelant un point : Éden est le monde. Il n’y a rien d’autre à part cet endroit.
La nuit, je n’arrive pas à dormir. C’est comme si cette porte était coincée dans mes pensées. Soudain, une image me revient. L’image d’une clef, accrochée au mur de la salle de réunion du Cercle. Désormais, je n’ai plus qu’une idée en tête, voler la clef. Elle n’est, si ça se trouve, même pas la bonne clef, mais je suis obligée d’aller essayer d’ouvrir la porte avec si je veux retrouver le sommeil. Je sors de mon lit et me rhabille.
Je suis enfin devant la porte. Je me glisse dans la pièce. Elle est là, comme dans mon imagination, pendue au mur. Je la saisis après un certain temps d’hésitation. Je cours vers la zone interdite, la clef dans la poche de ma veste. Je franchis la zone. Je sais que ce que je fais est mal mais je ne peux m’en empêcher. Je suis à nouveau devant la porte. Mes mains tremblantes manquent de faire tomber la clef par terre et il me faut m’y reprendre à plusieurs fois pour réussir à la faire rentrer dans la serrure. Quand la clef s’ajusta parfaitement à la serrure de la porte, je sus que j’allais désormais changer le cours de ma vie. Un clic se fit entendre et la porte s’entrouvrit. En instant, mes yeux se posèrent sur un tout nouveau monde.
Ma première réflexion fut que l’extérieur d’Éden était beaucoup moins verdoyant que l’intérieur. Il y avait du sable, beaucoup de sable, des étendues de sable. Tout me disait de rebrousser chemin et de vivre le restant de ma vie ignorante dans le doux monde d’Éden. Mais c’était ça le problème. Je ne voulais pas rester ignorante. Je voulais savoir ce que les Créateurs avaient eu tant de mal à nous cacher. Je fis mon premier pas dans le nouveau monde, suivit rapidement du deuxième. Je marchai encore pendant des heures, afin de m’éloigner le plus possible d’Éden. Je ne savais pas où aller, j’ai donc décidé de toujours marcher tout droit.
Le soleil était à son zénith quand j’aperçus quelque chose dans l’horizon. Je parvins à distinguer un paysage que je n’avais encore jamais vu auparavant. Le sable avait été remplacé par du goudron et des bâtiments de brique et de béton avaient poussé du sol. Certains ressemblaient à des énormes tours qui paraissaient pouvoir toucher le ciel. L’atmosphère ne semblait pas au beau fixe. Il y avait là-bas comme une sorte d’aura maussade qui ne m’incitait pas à visiter ce lieu. Je m’armai du plus grand courage pour continuer à avancer. La soif du savoir m’obligeait à marcher.
Alors que j’avançais toujours vers cet endroit plus qu’étrange, je me rendis compte qu’il n’était pas dénué de vie. À ma grande surprise, je découvris qu’Éden n’était pas le seul endroit à abriter des êtres humains comme nous l’avaient raconté les Créateurs. Je courais désormais, à la rencontre de ces personnes dont j’ignorais la totale existence il y a encore un jour.
Dorénavant entourée de ces immenses édifices, je me sentais toute petite. Ici, l’air semblait tout aussi malade que les personnes qui le respiraient. Enfin, s’ils arrivaient à le respirer. D’innombrables habitants toussaient et avaient beaucoup de mal à inhaler. Le bruit de leur suffocation se répandait dans le silence ambiant. Ceux qui ne toussaient pas portaient des sortes de masques. L’un d’eux m’accosta.
- Pourquoi ne portes-tu pas de masque ? N’as-tu pas peur d’attraper le coronavirus ?
Il me tendit un de ces masques et partit hâtivement. Le coronavirus ? Était-ce la maladie qui faisait souffrir ces pauvres personnes ? Je me couvris le visage et repartis en quête de nouvelles informations.
Je n’acceptais pas tous les mensonges que nous avaient déblatérés les Créateurs mais je compris enfin de quoi ils voulaient nous protéger. Ici, tout n’était que sécheresse et misère. Au contraire d’Éden, il y avait beaucoup d’adultes et peu d’enfants et tous avaient l’air malheureux.
Je réussis à grappiller assez d’informations en posant des questions aux individus qui me semblaient rassurants et sains d’esprits.
La Terre est loin d’être nouvelle. Elle date d’ailleurs de plusieurs millions d’années et elle se portait bien, jusqu’à ce qu’il y ait des centaines d’années de là, l’humain a découvert le malheur qui allait détruire le monde dans lequel il vivait. Il y a 30 ans, ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Les catastrophes naturelles anéantirent une partie de la population. La 3ème Guerre Mondiale et les épidémies telles que le coronavirus terminèrent le travail. Désormais le restant de la population vivait dans la désolation.
Alors que je déambulais dans ce qui était auparavant « une ville », une affiche attira mon attention. Dessus, il était écrit « le programme Genèse 2.0 : un nouvel avenir pour une nouvelle génération ! ».
Mon regard perdu intrigua un des malades assis par terre, adossé à un mur.
- Ces gosses de riches ont vraiment du bol tu ne trouves pas ?
- Qui ça ?
- Les gosses j’te dis. Ceux qui ont été envoyés à Éden grâce au fric de leurs parents !
- Éden ?
- Bah oui ! Le village du programme Genèse 2.0 ! Ces pseudos-dieux ont réussi à leur grappiller tout leur blé avec c’t’idée farfelue !
Je ne réponds plus rien car je ne comprends plus rien. En quelques paroles, cet étranger vient de détruire les derniers espoirs que j’avais de croire que l’action des Créateurs était bienfaisante.
Il faut que je leur dise. Mon frère, tous ceux d’Éden. Ils doivent savoir qui ils sont et d’où ils viennent vraiment. Ils doivent savoir que ceux que nous prenions pour des héros ne sont en fait que des usurpateurs avides de ce mal que l’on appelle « l’argent » dans le monde réel. Je m’empresse de rebrousser chemin, direction Éden.
Je viens à peine de recommencer mon voyage que j’aperçois un visage familier sur ma route. Un visage qui m’emplissait autrefois de bonheur mais qui me glace désormais le sang. C’est Greta.
Elle m’attend, et je sais pourquoi.
- La puce dans ton bras a trahi ta position. Je suis navrée, Ève. J’aurais dû plus me préoccuper de ce que tu m’avais dit ce soir-là. Tu ne te serais peut-être pas enfuie. Il est bien trop tard désormais, je ne peux plus te laisser revenir à Éden. Tu pourrais tout foutre en l’air.
J’ai à peine le temps de saisir ce qu’elle me dit que Greta pointe déjà son arme sur ma tête. La dernière chose que j’entendis fut le bruit assourdissant de la balle qui me transperça le crâne.