3020 après J.C. sur une île nommée « Annapurna »
Encore une journée qui s’achève, seule. Depuis qu’il est parti je compte chaque jour passé sans sa présence. Ils sont de plus en plus long. Mais je continue à vivre, je ne cesse pas d’exercer nos petites habitudes. Avec l’espoir et la certitude qu’il revienne un jour. Comme il m’a promis. Même si personne n’est jamais revenu. Je sais que lui reviendra.
Aujourd’hui j’en ai eu 36, c’est mon record depuis qu’il n’est plus là. C’est très difficile à cause de leurs carapaces. Il m’a expliqué que si on ne les tuait pas, les Monmas essaieront sans cesse de grimper sur notre île pour ensuite nous dévorer tout cru pendant qu’on dort. Cette histoire me donne la chair de poule… Alors j’essaie de ne pas trop y penser.
Tous les jours, on chasse, on mange, on construit. Il y a tout le temps un truc à faire. Mais on est prisonnier de cette île à cause de l’eau. Il m’a expliqué que son arrière-grand-père lui disait qu’auparavant, l’homme buvait de l’eau et en avait besoin pour vivre. Vous vous rendez compte ? Moi ça me fait rire, je ne sais jamais si je dois le croire ou pas. En tout cas, de nos jours elle nous brûle et nous décompose. Sauter dans l’eau serait comme sauter dans un feu. C’est ce qu’ils disent tous.
Autrefois sur notre planète Terre, il y avait la vie, la civilisation, des familles, de l’amour beaucoup d’amour. Mais un jour, tout a basculé. Ce fut un massacre. Ça aussi on me l’a raconté. Et j’y crois, sinon je ne serais pas ici. Abandonnée sur cette île pourrie avec des gens qui n’ont même plus d’amour à donner. Ils ne savent que raconter des histoires tristes.
Je vais me coucher. Je suis fatiguée et demain j’ai encore une grosse journée à surmonter.
– À demain les gars.
– Ouais à demain Célia. Eh te fais pas dévorer par les Monmas cette nuit hein, pouahaha !
Le soleil n’est pas encore levé, tout le monde dors. Je sors de mon hamac et me dirige vers la plage avec mon chariot. Je complote en secret car si les autres apprennent ce que je veux faire, ils me mettront au cachot pour le restant de mes jours. Entre nous, je récupère les carapaces des Monmas tués durant la journée précédente pour m’évader. C’est comme ça qu’a fait Hugo. La seule différence est que lui est parti pour une mission en accord avec le conseil. D’ailleurs, il en fait partie. Mais moi pas du tout, donc je suis obligée de me cacher. Mon chariot est plein, je le ramène dans ma hutte et retourne me coucher, ni vue ni connue.
Les jours ont passé, ma collection s’agrandit. Je vais bientôt pouvoir passer à l’action. Il ne me reste plus qu’à ficeler les bois avec les carapaces et ça y est. Cette nuit, je m’évade. Mon radeau est prêt, il suffit de le mettre à l’eau. Sans la toucher bien sûr.
J’ai peur, très peur. Je me dis que si les vagues m’emportent je risque sûrement de mourir. Et si mon radeau ne tient pas ? Et si les Monmas savait sauter ? Non, je ne dois pas penser à ça. J’essaie de rester concentrée. Je sors de ma hutte. Le radeau m’attend avec grande impatience. Il fait encore nuit mais le soleil ne va pas tarder. Je dois me dépêcher.
Je tire et je tire de toutes mes forces. Le sable fait que c’est encore plus dur. J’y suis presque, encore quelques mètres et il est dans l’eau. Je saute dessus et pousse le sol avec ma rame pour m’éloigner de l’île. Ça a marché ! J’y crois pas ça a marché ! Je rame de toutes mes forces. Après quelques heures de ramage, je ne sais ni ou je suis ni ou je vais. Je suis au beau milieu de l’océan. Je tourne la tête et là … J’ai l’impression de rêver. C’est immense, tellement immense. Une ville titanesque suspendue au-dessus de l’eau. Depuis tout ce temps il y a d’autres humains que nous sur cette terre. On aurait pu mourir là-bas sans s’en rendre compte. Et Hugo ? Pourquoi n’est-il donc pas revenu avec de l’aide ? Peut-être qu’il est mort. Je rame le plus vite possible, je n’ai jamais eu aussi peur de toute ma vie. Tout mon corps tremble. Je m’agrippe à une échelle qui pend. Avec les dernières forces qui me restent je me hisse. Échelon par échelon, je finis par arriver en haut. J’ai à peine le temps de me relever et de reprendre mes esprits, qu’ils se ruent sur moi, me menottent. Je relève ma tête et je comprends, pourquoi Hugo n’est pas revenu…