Cela fait maintenant plusieurs semaines que je suis à la recherche de toute civilisation.
Après de longs mois de discussions et de répercussions économiques entre l’Iran et les États-Unis, la troisième guerre mondiale a commencé. J’avais 17 ans, je faisais du camping sauvage au Canada lorsque l’Iran a voulu larguer un missile sur les États-Unis. Mais ils ont malheureusement raté le coche. Ce sont les dernières infos que j’ai pu capter grâce à mon talkie-walkie, le 15 octobre 2020. Je vais vous expliquer en quelques mots ce que je faisais au Canada.
Depuis toujours, je suis quelqu’un qui a eu du mal à l’école. En 4ème, après avoir doublé deux fois, j’ai décidé d’arrêter. En tant que bourlingueur j’ai toujours voulu voyager et là, c’était le bon moment pour pouvoir encore profiter des derniers coins reculés non touchés par l’homme. Après plusieurs mois d’hésitation je me lance et demande la permission à mes parents. Je pars donc le 15 juillet le cœur lourd en laissant toute ma famille derrière moi. Ecolo dans l’âme, je voyage léger avec seulement un grand sac à dos contenant un minimum d’affaire et quelques conserves alimentaires. Arrivé à l’aéroport, je suis accueilli par un de mes anciens correspondants québécois. Je me sens quand même mal de laisser toute ma vie en France, j’ai le cœur gros. Mais comme dirait mon père, il faut profiter de chaque instant. Moi qui suis plutôt optimiste d’habitude, là je suis vraiment inquiet pour mon avenir à cause de toutes les catastrophes qui sont dues au réchauffement climatique. Après une heure de route, je suis arrivé à la maison de mon correspondant. Il m’informe que les tensions entre l’Iran et les Etats-Unis grandissent. Mais, à ce moment-là, c’est le dernier de mes soucis. Ses parents connaissent la région comme leur poche et tous les jours je découvre des lieux incroyablement magnifiques. J’en visite au moins un chaque jour, et pas des plus moches : le Mont Royal, le Vieux-Québec, le château Frontenac ou encore les chutes Mont Morency.
Je fais énormément de randonnées pour voir des animaux dans leur milieu naturel. Des ours noirs, des caribous, des castors ou avec de la chance des lynx. Animaux totalement introuvables en France. Pendant un mois et demi je continue comme ça en prenant un maximum de plaisir. Après quelque temps je dois malheureusement quitter ma famille d’accueil pour prendre l’avion en direction de Vancouver. C’est totalement de l’autre côté du Canada. Là-bas, je suis accueilli par Olivier un ami de mon correspondant. Il m’accueille chaleureusement et comme il se doit. Ce côté du Canada est certes touristique mais je m’approche de plus en plus des zones montagneuses et celles-ci sont moins peuplées. J’avoue aussi vouloir éviter les activités urbaines à cause de leur coût élevé. A ce moment-là, je ressens une certaine excitation car je vais me rendre dans un endroit où presque personne ne s’est rendu. J’évite donc le plus possible les endroits hyper touristiques car je me rends compte que je ne les aime pas et que, pour me ressourcer, j’ai besoin de solitude et de calme.
Après avoir visité cette magnifique partie ouest du Canada, ces rocheuses à couper le souffle et ces sublimes réserves naturelles, le 5 octobre je reprends l’avion pour ma dernière destination : Calgary. Pour cette ultime étape de mon voyage, j’ai décidé de faire appel à un randonneur professionnel pour sortir encore plus des sentiers battus. Je veux découvrir des endroits inconnus. Il me propose donc un itinéraire pour randonneur expert. Pour arriver à notre point de départ nous sommes obligés de nous faire héliporter car il n’y a pas d’autre accès possible. On n’a pas pris beaucoup de bagage pour être le plus léger possible mais on a prévu un peu de matériel de secours dont un talkie-walkie. On m’a raconté que le sud de Calgary regorgeait de rocheuses plus sublimes les unes que les autres et qu’il n’y avait absolument personne. Après un vol un peu secoué en hélicoptère, on pose la tente « spécial grand froid » assez vite pour être certains d’avoir un abri avant que la nuit ne tombe. Durant deux ou trois jours, tout se passe comme il faut. J’apprends beaucoup avec mon guide, on partage beaucoup de choses ensemble. Mais une nuit, il devait être 3h du matin, je ressens trois violentes secousses et puis plus rien… je n’y fais pas spécialement attention et me rendors. Le lendemain, au réveil, j’entends au talkie-walkie « la guerre a commencé » et puis plus aucun bruit. Je commence à stresser très fort et à appuyer sur tous les boutons du talkie. Mais visiblement il est à plat. Rien que le fait de penser à la guerre me faisait trembler. Le fait de n’avoir plus qu’une dizaine de conserves alimentaires et deux litres d’eau en est certainement une de plus. Heureusement que j’ai toujours ma tente pour m’abriter dans cet endroit que je viens de découvrir. Je tente de ne pas paniquer. Je me calme en me rappelant les astuces de base de survie. Heureusement pour moi, je ne suis pas seul dans cette galère. Mon guide est toujours à mes côtés. Il a beaucoup plus d’expérience que moi face aux situations d’urgence. J’ai très vite compris que de savoir que la guerre était déclarée et que, probablement, le Canada soit directement touché, l’affecte. Il doit penser à sa famille et à ses proches.
Comme nous n’avons plus de moyens efficaces pour communiquer avec l’extérieur, nous devons nous débrouiller par nous-même. Il nous faut impérativement de l’eau et, par chance, celle-ci ruisselle en grande quantité sur les parois rocheuses. On espérait qu’elle soit à peu près potable. Malgré toutes ces difficultés, nous décidons d’avancer absolument pour retrouver la civilisation. Si elle existe encore… Pendant une semaine, tout s’est encore bien passé.
Retour à l’instant présent. Nos recherches de vie éventuelle n’avancent pas très rapidement car nous marchons beaucoup mais nous ne sommes pas vraiment certains de l’endroit où nous nous trouvons. Heureusement que nous sommes deux, sans mon partenaire, il est évident que je serais déjà mort.
On se nourrit de plantes normalement comestibles telles que des marguerites, des mûres sauvages et de toutes sortes de baies… pas toujours digne d’un repas grande classe mais cela nous permet de rester plus ou moins en forme. Après tout, c’est ce que je cherchais en partant au Canada, être à nouveau connecté à la nature plus tôt qu’à mon smartphone. Mais là, la situation est désagréable car nous nous posons beaucoup de questions sur notre futur, sur ce que nous finirons par découvrir… J’avoue que le soir, lorsque je repense à ma vie à Paris, je laisse couler quelques larmes. Je me demande de plus en plus si en fait nous ne sommes pas les seuls survivants de cette guerre. A force de vivre au rythme de la nature et au rythme de nos déplacements, nous avons complètement perdu la notion du temps. On ne sait plus très bien depuis combien de jours nous marchons.
Aujourd’hui, lorsque nous sommes partis pour chercher quelques choses à manger, j’ai été un peu distrait et je me suis tordu la cheville. Le guide m’a aidé pour regagner le campement. Ma cheville est gonflée mais ça n’a pas l’air trop grave. Pour me soulager de la douleur il décide d’aller à la recherche de plantes. Mais son absence me semble vraiment très longue. J’ai un peu peur, je sens que quelque chose cloche. Je le vois qui revient enfin. Il avance vraiment doucement comme s’il était blessé. Et ce n’est pas peu dire, il a rencontré un ours agressif qui lui a donné un coup de patte. Il a eu de la chance au final, il a seulement de grosses traces de griffes. Il est très courageux, ne se plaint pas. Quelle chance qu’il soit encore en vie, ça aurait pu très mal finir. Là, je pense qu’il va nous falloir un maximum de repos pour être plus ou moins sur pieds rapidement. Je n’avais jamais vu ce dont un ours était capable. C’est assez impressionnant. Je suis maintenant responsable de nous car mon guide est invalide pendant un petit temps. Malgré tout je reprends espoir, espoir en nous et dans le fait de sortir de cet endroit.
On se surprend de temps en temps à y prendre goût. En parlant de temps il commence à faire de plus en plus froid et les températures avoisinent les 5-10 degrés. Nous continuons tout de même à avancer et nous finissons par retrouver une route. Et après quelques jours nous tombons sur les premiers ravages de cette guerre.
La route est complètement barrée par des branches et des cailloux. Et une fois passés outre cet obstacle, on voit un village malheureusement totalement détruit. Et pas que lui. Les alentours, les arbres et collines aussi. Quelle cruelle désillusion. Nous avons espéré retrouver la civilisation, mais là tout est ravagé. Nous profitons néanmoins des déchets et des matières premières restantes. On essaye de ne pas perdre espoir. C’est dur, mais on essaye. Nous avançons encore et toujours. Parfois on parle de notre famille entre nous pour nous soulager mais cela nous fait souvent plus pleurer. Depuis que l’on sait que les chances de trouver des survivants sont minimes ou inexistantes, nous essayons de profiter aussi du paysage sans se focaliser sur notre énorme malheur. Nous continuons à avancer. Sur notre chemin nous trouvons des animaux morts et nous tentons de sauver ceux qui peuvent encore l’être. Et on marche, on marche maintenant sans but.
Après des jours et des jours de marche, tristes et désemparés, nous retrouvons des espaces presque intacts. Mais il n’y a personne dans les refuges, pas de campeur, personne. Nous sommes toujours loin de la vie, peut-être devenue inexistante. Nous ne trouvons que des endroits dévastés mais, finalement nous arrivons en ville. Je ne pensais jamais le dire mais je suis plus qu’heureux de retrouver cet espace autrefois si plein de pollution, les vestiges de ce monde urbain. Mais toujours personne en vue. Au point où nous en sommes, nous continuons jusqu’à l’aéroport le plus proche en nous disant que c’est probablement là que se sont réfugiés les survivants s’il en reste. Nous n’y trouvons de nouveau personne, mais le décor est beaucoup moins apocalyptique qu’en ville. C’est quand même une bonne trouvaille, il y a de quoi boire et manger en quantités astronomiques. Et par chance, après avoir fouillé une petite dizaine de bagages, nous trouvons des piles. Nous les utilisons aussitôt pour nos talkies walkies, même si nos chances de réponses sont plus qu’infimes. J’appuie sur le bouton latéral du talkie pour énoncer ces mots : « Y-a-t-il quelqu’un ? » S’en suit les dix secondes les plus longues de ma vie. Et là, une voix féminine répond avec émotion « Oui, je suis là ! ». « Où êtes-vous ? Combien êtes-vous ? Nous sommes deux et nous n’avons croisé personne depuis un mois » La voix de femme nous répond « Je ne sais même pas où je me trouve. Et je seule depuis longtemps. Ça fait aussi un mois que cherche du monde. Je pense que nous sommes les derniers survivants en tout cas au Canada. Les humains doivent se compter aujourd’hui sur les doigts de la main… »