Je sors de la gare et je pose mon pied en ville pour la première fois de ma vie. Tout me semble différent, je ne reconnais quasiment rien de là où je viens. Je m’arrête devant la gare, plusieurs personnes me bousculent avant de s’excuser et de disparaître aussitôt dans les rues bondées. Je comprends rapidement que ce n’est pas la meilleure des idées de rester immobile à cet endroit. Je me remets donc en route, sans savoir où je vais. J’erre sans but, suivant la masse de personnes qui sont d’ailleurs toutes habillées bizarrement. Je devrais plutôt dire l’inverse : c’est moi qui détonne dans ce décor rempli de costumes sombres. Ils tiennent tous une mallette à la main, un téléphone dernière génération dans l’autre.
La foule se disperse lentement, chacun suivant son itinéraire. Je tourne à droite dans une ruelle moins bondée. Je ne sais pas où je vais, mais je veux découvrir chaque recoin de cette immense ville. La ruelle sinue entre de hauts bâtiments assez rapprochés qui empêchent une grande partie de la lumière d’arriver jusqu’au sol. Je continue mon chemin jusqu’à une grande avenue qui n’a rien à voir avec ce que j’ai traversé jusqu’à présent. Devant moi, s’étend sur plusieurs mètres une grande surface macadamisée où défilent sans arrêt des dizaines de véhicules que je ne reconnais pas. Un vrombissement aigu s’en échappe et parvient à mes oreilles. L’un d’entre eux s’arrête à quelques mètres de moi. Un homme d’une trentaine d’années entre dans le véhicule spacieux qui a l’air très confortable. Quatre sièges y sont installés l’un en face de l’autre, séparés les uns des autres par de larges accoudoirs. Les portes se referment seules, le véhicule qui s’était arrêté sur le bas-côté de la route redémarre lentement, attendant le bon moment pour s’intercaler dans la circulation. Je regarde par les fenêtres, je ne vois que l’homme qui y est entré il y a quelques instants, aucun poste de contrôle. Il accélère et disparaît dans le trafic dense. Sa forme métallique allongée file à toute vitesse, donnant l’impression qu’il vole au-dessus du sol. Je n’avais jamais vu ça. Un large sourire s’empare de mes lèvres, je suis tellement heureuse de découvrir tant de nouvelles choses. Cette soif de découvertes ne s’arrête pas là. Je reprends mon chemin, avide de nouvelles sensations.
Les hauts gratte-ciel me surplombent. Entièrement constitués de verre, ils sont construits pour que la lumière du soleil se reflète sur les vitres teintées et éclaire entièrement les routes en contrebas. Les seules ombres au sol sont celles des petits drones qui volent partout autour de nos têtes.
Après cinq minutes de marche, je passe devant un magasin de bonbons. Une douce odeur sucrée me chatouille les narines. Elle me rappelle mon enfance, quand j’ai goûté de la barbe à papa pour la première fois. Je ferme les yeux en inspirant un grand coup pour profiter le plus longtemps possible de cette odeur qui me rappelle tant de souvenirs.
– Attention !
Je me fais violemment tirer en arrière. Mes yeux s’ouvrent en grand sous l’effet de la surprise. Un des véhicules que j’avais observés en arrivant passe à toute vitesse à l’endroit où je me trouvais quelques secondes auparavant. Je me retourne et me retrouve face à un inconnu. Il est un peu plus âgé que moi, il doit avoir une vingtaine d’années.
– Merci, je ne m’étais pas rendu compte que j’avais continué à avancer.
– Il faut faire attention. Comment t’appelles-tu ?
– Even, et toi ?
– Finn, ravi de t’avoir rencontrée.
Je regarde autour de moi. Je suis une dizaine de mètres plus loin, juste devant une grand-route perpendiculaire que Finn m’a empêché de traverser les yeux fermés. En face de moi se trouve un énorme bâtiment blanc. Il ne ressemble en rien à ceux que j’ai vus jusqu’à présent. Il est encore plus haut et imposant que les autres. Il y a peu de fenêtres, mais sa façade blanche est richement décorée de colonnes et de sculptures en tous genres. Une grande enseigne lumineuse affiche en grand : « I. Robots ». Je reste un instant immobile, impressionnée par cette immense structure. Finn n’est qu’à quelques mètres de moi, de l’autre côté de la route. Je traverse rapidement, les yeux ouverts cette fois, pour le rejoindre. Peut-être en sait-il plus sur ce qu’il y a à l’intérieur de ce bâtiment.
– Finn !
Il s’arrête et se retourne vers moi quand il entend son prénom.
– Je peux t’aider ?
– Pourquoi ce bâtiment est-il si différent des autres ? Qu’y a-t-il à l’intérieur ?
– C’est le siège de la multinationale « I. Robots ». Ce sont les leaders mondiaux dans le domaine de la robotique.
– Quelle sorte de robots créent-ils ?
– Ils développent toutes les intelligences artificielles possibles. Leur but est, à terme, de pouvoir remplacer par des robots tous les humains qui doivent encore accomplir des tâches pénibles. Ils sont à la pointe de la technologie. Leurs inventions vont révolutionner le monde !
Il me sourit, mais, avant que je ne puisse poser une autre question, ma vision commence à se troubler, rendant l’image que j’ai de lui de plus en plus floue jusqu’à la rendre totalement noire. Une impression de chute libre envahit mon corps. Le grondement ambiant qui était présent depuis que j’étais sortie de cette gare s’estompe lui aussi, me laissant dans le silence le plus total.
Un bruit strident retentit. Le noir complet dans lequel je me trouvais est rapidement remplacé par une lumière vive qui m’aveugle. Je cligne des yeux pour les aider à s’habituer à la luminosité ambiante.
Je distingue enfin ce qui m’entoure : une grande pièce entièrement blanche du sol au plafond. Le revêtement immaculé brille sous les lumières. Je souris en reconnaissant cette pièce lumineuse, mais aussi en voyant à mes côtés Alpha, l’hôtesse robotique qui nous accompagne pendant la visite. Son corps fin est constitué de plaques d’acier, peintes avec un vernis blanc. Les traits de son visage sont vaguement inspirés de ceux des humains. Une inscription sur son poitrail que j’avais ignorée au début de la visite attire maintenant mon attention, il est gravé en gris « I. Robots ». Sa voix métallique retentit dans la pièce, me sortant de ma rêverie.
– Vous revoilà, mademoiselle Even. Votre simulation de l’an 2040 vous a-t-elle plu ?
– Oui, beaucoup. C’est toujours amusant de voir comment était la vie cent ans en arrière. Alpha, puis-je te poser une question à propos de la simulation ?
– Bien sûr, je suis programmée pour apporter le plus d’informations possible à nos visiteurs.
– Quels étaient ces véhicules que j’ai vus partout dans les rues ?
– Vous avez vu des « voitures autonomes ». Cette technologie était considérée comme révolutionnaire durant l’époque que vous avez visitée. Elles ont été abandonnées, car elles consommaient énormément d’énergie à la conception et à l’utilisation. Elles n’ont pas fait le poids quand la Nouvelle Énergie est apparue et sont vite devenues désuètes.
– C’est étonnant qu’ils aient pensé que cette technologie était révolutionnaire. C’est juste un ordinateur qui fait avancer quatre roues. De nos jours, un enfant pourrait coder cela.
– Chaque technologie est innovante un jour et devient obsolète le lendemain. Je le serai aussi, un jour. Avez-vous d’autres questions ?
– Non, merci, Alpha.
– Voulez-vous me suivre ? Nous allons passer à la prochaine simulation dans une autre aile du musée : la Renaissance.